A Erevan, Emmanuel Macron plaide pour une francophonie de « reconquête »
A Erevan, Emmanuel Macron plaide pour une francophonie de « reconquête »
Par Marc Semo (Erevan, envoyé spécial)
Au sommet de l’OIF, le président français a affirmé vouloir faire de la jeunesse, notamment africaine, la priorité de l’institution. A l’horizon 2050, le continent comptera 700 millions de francophones.
Le président français, Emmanuel Macron, lors de son discours au 17e sommet de la Francophonie, à Erevan, le 11 octobre 2018. / LUDOVIC MARIN / AFP
Une francophonie de résistance, mais aussi une francophonie réinventée. « Elle n’est pas un club convenu, un espace fatigué, mais un lieu de reconquête », a martelé Emmanuel Macron, jeudi 11 octobre à Erevan. Les sommets de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont leurs passages obligés, dont la célébration de la grande famille qui, sur les cinq continents, a « cette langue en partage », selon la formule consacrée. Le président français, en s’adressant aux quelque 40 chefs d’Etat et de gouvernement et aux représentants des 84 membres de l’OIF venus dans la capitale arménienne pour le 17e sommet de la Francophonie, n’a pas dérogé à l’usage.
« C’est une famille aux dimensions de la planète », a rappelé le chef de l’Etat dans son intervention, la troisième après celles du premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et du président malgache par intérim, Rivo Rakotovao, tout en rappelant qu’« il y a entre nous de nombreuses blessures qui commencent à cicatriser grâce au travail de mémoire ». Il n’élude pas ce que fut la colonisation et ne veut surtout pas se poser en donneur de leçons. Cette langue qui « nous unit, dit-il, chacun la parle avec ses accents et ses tournures particulières ». Le français n’appartient donc pas à la France.
Mais cette langue doit avant tout être une langue de combat. « La francophonie doit être le lieu du ressaisissement contemporain », a lancé le président français dans un discours aux accents lyriques de plus d’une demi-heure, évoquant tout autant, comme fin septembre devant l’Assemblée générale de l’ONU, la crise du multilatéralisme, le basculement de l’ordre international créé après la seconde guerre mondiale, la montée des populismes et des nationalismes. « Cette langue qui en a conjugué tant d’autres ne va pas répéter des mots devenus parfois creux, mais elle doit être la langue du refus de ce qui se passe », a insisté le chef de l’Etat.
« La langue de la création »
Ce thème a irrigué toute son intervention et ses réflexions sur une francophonie dont la priorité doit être la reconquête de la jeunesse, notamment africaine. Le continent comptera en effet, au milieu du siècle, quelque 700 millions de francophones. Pour Emmanuel Macron, aussi, « la francophonie doit être féministe ». Elle est l’espace où se mène ce combat pour l’égalité des femmes, leur droit à l’éducation, mais aussi, de manière plus générale, toute la bataille pour la préservation des biens communs de l’humanité. « Unie, notre famille ne l’est pas seulement par la langue, mais aussi par une certaine vision du monde. »
Dans ce discours enflammé au risque d’être creux, Emmanuel Macron a néanmoins lancé quelques pistes concrètes. Il a notamment repris l’idée de la romancière franco-marocaine Leïla Slimani, dont il a fait sa représentante personnelle pour la Francophonie en novembre 2017, d’organiser un congrès des écrivains de langue française qui réunirait les auteurs, les éditeurs et tous ceux dont le métier est en rapport avec la langue. « Cela n’a jamais été fait », a-t-il souligné, et cela permettrait de promouvoir le français comme « la langue de la création », ce qui le différencie, aux yeux du chef de l’Etat, de l’anglais, « langue d’usage ».
Le président français propose à nouveau, comme lors de son discours du 20 mars devant l’Académie française, que tous les pays francophiles participent à la restauration du château de Villers-Cotterêts, lieu symbole s’il en est, où François 1er décréta que le français serait la langue officielle du royaume de France. C’est aussi le lieu de naissance d’Alexandre Dumas, l’un des écrivains français le plus lu dans le monde.
Ouverture au plurilinguisme
Sans cesse aussi, il est revenu sur la figure de Charles Aznavour, le fils d’immigrés dont les langues maternelles furent l’arménien et le géorgien, mais pour qui « la langue française est devenue la patrie » sans que jamais il ne se renie pour autant. Le chanteur est mort le 1er octobre à l’âge de 94 ans. « Se battre pour la francophonie, ce n’est pas se battre pour rétrécir la francophonie », a insisté le chef de l’Etat, qui ne cesse de promouvoir l’idée d’une francophonie ouverte aux autres langues et au plurilinguisme.
Emmanuel Macron souhaite aussi une révision de la Charte de la Francophonie, pour notamment se pencher sur les modalités d’adhésion à l’OIF. « Faut-il se contenter de prendre quelques engagements en matière de respect des droits de l’homme [pour rejoindre l’OIF] ? », s’est-il demandé, faisant référence à la candidature, retirée au dernier moment, de l’Arabie saoudite. Des propos qui entrent en contradiction directe avec la candidature, soutenue par Paris, de la cheffe de la diplomatie rwandaise à la tête de l’institution, le Rwanda figurant au 159e rang (sur 180 pays) du classement 2017 de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).
Kako Nubukpo : « La Francophonie ne doit plus être le bras armé de la France »
Durée : 04:37
Le matin, avant son discours, le président français s’était rendu au mémorial du génocide commémorant les massacres d’au moins un million d’Arméniens de l’Empire ottoman entre 1915 et 1917. Une immense flèche qui se dresse vers le ciel, sur une colline d’Erevan, avec dans une crypte une flamme éternelle. Sur le livre d’or, il a écrit : « La France n’oubliera jamais et elle portera le combat de la vérité et de la reconnaissance contre toute négation. »