France 5, jeudi 11 octobre à 15 h 10, documentaire

Elles ne savent pas si elles doivent continuer à vivre. Le corps en souffrance, elles ne se sentent plus femmes et vivent avec la peur au ventre. Adolescentes, jeunes mères, parfois grands-mères, elles ont été violées par des militaires. Dans ce coin de la République démocratique du Congo, au Sud-Kivu – une région riche et convoitée où des groupes armés s’affrontent depuis vingt ans –, « les femmes sont les premières victimes et leurs vagins sont devenus des champs de bataille », dit une voix off, en introduction de Congo, un médecin pour sauver les femmes.

Un documentaire met en lumière le travail remarquable de Denis Mukwege, 63 ans, qui a été récompensé par le prix Sakharov pour la liberté de pensée 2014 et, vendredi 5 octobre, par le prix Nobel de la paix, qui lui a été attribué conjointement avec la militante irakienne des droits de l’homme Nadia Murad, ex-esclave de l’organisation Etat islamique (EI), « pour leurs efforts pour mettre fin à l’emploi des violences sexuelles en tant qu’arme de guerre ».

En 1999, en pleine guerre civile, ce chirurgien-gynécologue ouvre l’hôpital de Panzi à Bukavu, sa ville natale, pour permettre aux futures mères d’accoucher sereinement. Mais sa première patiente n’attend pas un enfant : elle a été victime d’un viol. Cette année-là, il soignera 45 femmes qui ont été sexuellement agressées. Trois fois plus l’année suivante.

En quinze ans, Denis Mukwege a pris en charge plus de 40 000 femmes

Denis Mukwege constate que ces femmes sont humiliées et détruites sans que le monde s’alarme de leur sort. Il alerte alors les ONG. Et commence à devenir gênant. Victime de trois tentatives d’assassinat, il quitte le Congo, où il est connu comme « le médecin qui répare les femmes ». Dans les couloirs de l’hôpital, on chante son nom et ses bienfaits : « A celui qui veut du mal à Mukwege, que le malheur s’abatte sur lui ! » En quinze ans, le gynécologue a pris en charge plus de 40 000 femmes. Certaines témoignent, parlent avec une voix à peine audible. La honte ne les a plus jamais quittées. Dans leurs yeux s’exprime une infinie tristesse car, au-delà de leur corps, c’est aussi leur vie que leurs assaillants ont volée.

Perte d’identité

Régina, 22 ans, raconte son agression devant la caméra : comment un homme l’a flanquée au sol, puis violée, avant que d’autres arrivent… Quand elle se confie à son mari, il « s’énerve ». Avec son accord, Régina se rend à l’hôpital de Panzi. Mais une fois soignée, pas question qu’elle rentre, car son mari ne veut plus d’elle. Comme l’explique Denis Muk­wege, le viol est une agression physique mais aussi mentale, entraînant chez les victimes une véritable perte d’identité. Commis à grande échelle, ces crimes détruisent le tissu social. Sans oublier les dégâts que causent les maladies sexuellement transmissibles.

A ce drame s’ajoute souvent un autre, quand les femmes violées se retrouvent enceintes, une sorte de double peine difficilement surmontable. Alice, 16 ans, rejetée par sa famille, explique que, si elle trouve un toit, elle gardera l’enfant, sinon elle l’abandonnera. « Je ne pense pas avoir la force de l’aimer », dit-elle.

Lire l’entretien avec Denis Mukwege  : « Si ma vie a été sauvegardée, c’est pour une cause »

Le documentaire, extrêmement pudique, traite le sujet du viol avec une grande sensibilité, sans jamais tomber dans le pathos. Même si ce film reste centré autour de la personnalité de Denis Mukwege, le médecin ne se met jamais en valeur. Bien au contraire, il se dit « gâté » par la vie face à ces « femmes fortes », capables de prendre en charge un enfant qu’elles n’ont pas désiré.

Congo, un médecin pour sauver les femmes, d’Angèle Diabang (Fr., 2014, 52 min). www.france.tv/france-5