A Tokyo, le supérieur du temple de Yasukuni démissionne pour avoir critiqué l’empereur
A Tokyo, le supérieur du temple de Yasukuni démissionne pour avoir critiqué l’empereur
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
Le religieux a reproché à Akihito de multiplier les hommages aux victimes des guerres lancées par le Japon et de ne jamais venir dans ce haut lieu du culte shinto.
Le sanctuaire de Yasukuni, à Tokyo, en 2016. / KAZUHIRO NOGI / AFP
Le prêtre supérieur du controversé sanctuaire tokyoïte Yasukuni, Kunio Kohori, a proposé de démissionner après la révélation de ses critiques envers l’empereur. Dans son édition datée du 12 octobre, l’hebdomadaire Shukan Post explique, sur la foi d’un enregistrement dont il a publié des extraits sur son compte Twitter (@News_MagVi), que le religieux par ailleurs écrivain, s’en est vertement pris le 20 juin au souverain, Akihito, et à son fils aîné, Naruhito, lors d’une réunion de personnalités du sanctuaire.
M. Kohori a reproché à l’empereur de multiplier les hommages aux victimes des guerres lancées par le Japon dans les années 1930-1940 et de ne jamais venir dans ce haut lieu du culte shinto, la religion originelle du Japon. « Franchement, l’empereur tente de détruire le sanctuaire », déplore M. Kohori. Le supérieur doute également qu’Akihito ne vienne s’y recueillir avant son abdication en avril 2019.
Dans ce cas, ajoute le religieux, « pensez-vous que le prince héritier viendra une fois empereur ? ». Kunio Kohori reproche par ailleurs à la princesse Masako, future impératrice, d’avoir « horreur du shintoïsme et des sanctuaires ». Le sanctuaire a reconnu l’authenticité des propos qu’il a qualifiés d’« extrêmement inappropriés ». M. Kohori se serait rendu à l’agence de la maison impériale pour s’excuser et a démissionné. Son successeur sera désigné le 26 octobre.
Yasukuni (Pays serein) est aujourd’hui perçu comme un symbole du militarisme nippon, voire du révisionnisme. Les pèlerinages qu’y font régulièrement certains premiers ministres, dont l’actuel, Shinzo Abe, suscitent à chaque fois des tensions avec la Corée du Sud et la Chine.
Le sanctuaire a été établi à Tokyo en 1869 pour accueillir les âmes des morts de la guerre civile dite de Boshin (1868-1869). Par la suite, il a recueilli celles des conflits impliquant l’archipel, jusqu’à la guerre d’Indochine (1946-1954), où périrent d’anciens militaires nippons ayant rejoint les rangs Vietminh. Jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, le sanctuaire fut un instrument de mobilisation nationale, où étaient vénérés les héros morts au nom de l’empereur. « Nous nous retrouverons à Yasukuni ! », lançaient les kamikazes partant pour leur dernière mission.
Selon le culte shinto, Yasukuni abrite ainsi les âmes de près de 2,4 millions de morts pour la patrie. Mais en 1978, une cérémonie a été organisée en secret pour y admettre celles de 14 criminels de guerre nippons, dont le premier ministre Hideki Tojo (1884-1948).
Mécontent de cette décision, l’empereur Hirohito (1901-1989) aurait alors décidé de ne plus s’y rendre. Il y était allé huit fois entre 1945 et 1975. Très attaché à la paix et à la réconciliation, son héritier Akihito a maintenu cette habitude. Naruhito partagerait ces sentiments et pourrait faire de même.
Le scandale, l’un des plus importants de l’histoire de l’institution, n’a guère été repris par les médias japonais, majoritairement conservateurs. Pour le magazine en ligne Litera, il met trop en évidence le fossé idéologique qui sépare le souverain de la puissante frange nationaliste nippone. M. Kohori aurait exprimé ce que beaucoup de nationalistes pensent tout bas au sujet du souverain.