« Le jour où un réfugié soudanais a commencé à enseigner à l’université d’Auvergne »
« Le jour où un réfugié soudanais a commencé à enseigner à l’université d’Auvergne »
Par Pablo Aiquel
Les Soudan Célestins Music et moi. Pour sa dernière chronique, Pablo Aiquel raconte l’entrée dans le monde du travail de Hassan le menuisier et d’Ali le sociologue.
Titulaire d’un master de sociologie, Ali exerçait comme professeur assistant à l’université de Khartoum. / Sandra Mehl pour Le Monde
Chronique. Il faut savoir le reconnaître, certains réfugiés trouvent du travail en traversant la rue, pour reprendre la désormais célèbre formule d’Emmanuel Macron. Notamment dans la restauration. A Vichy, un jeune Afghan bénéficiant de la protection subsidiaire – un statut accordé à des personnes exposées dans leur pays à des menaces graves – a ainsi dégoté quelques contrats dans des pizzerias de la cité thermale ou de Bourges. Mais ce n’est pas le métier idéal pour ce charmant jeune homme qui rêve de travailler dans la mode, pourquoi pas comme mannequin.
Car, pour les réfugiés qui souhaitent persévérer dans leur vocation ou faire valoir leurs compétences, il ne suffit pas toujours de traverser la rue. Il faut du temps, une grande volonté d’aller de l’avant et, aussi, l’aide d’associations pour surmonter les obstacles, notamment administratifs. Et parfois ça paie, comme pour deux des réfugiés soudanais et érythréens que Le Monde a suivis durant un an et demi dans le cadre du programme des « nouveaux arrivants ».
« Les nouveaux arrivants » : récit d’une année et demie d’intégration
Durée : 05:46
Hasard du calendrier, Hassan, le musicien des Soudan Célestins Music, et Ali, le sociologue qui les accompagne souvent, devaient se retrouver dans de nouveaux environnements de travail quasiment en même temps : le premier ce lundi 15 octobre dans une menuiserie industrielle à Thizy-les-Bourgs (Rhône), le second dès mardi à l’université d’Auvergne, à Clermont-Ferrand.
« Ils ont envie de travailler et ça se voit »
Après avoir vu un reportage sur France 3 en mai, Philippe Heuzebroc, directeur de l’usine Montibert, nous avait contactés pour nous signaler qu’il avait du mal à trouver de la main-d’œuvre et qu’il était ouvert à rencontrer des réfugiés motivés. Deux cadres de l’entreprise sont venus à Vichy présenter les métiers de leur usine à une vingtaine de réfugiés, avec l’aide de l’interprète Adel El Kordi. Puis une visite a été organisée, fin juillet, dans leurs locaux, ainsi qu’une série d’entretiens à Vichy, en septembre.
Réfugiés soudanais à Vichy : un pas vers la formation professionnelle
Epaulés par des bénévoles, les réfugiés ont préparé leur CV. Quatre d’entre eux ont été sélectionnés pour effectuer une semaine de mise en situation en milieu professionnel. Hassan devait commencer ce lundi. Il accompagnerait son compatriote érythréen Baraka, qui s’est déjà vu proposer un CDD de six mois et qui sautait de joie d’avoir pu, enfin, trouver un emploi dans un secteur qui lui plaît et qu’il connaît.
« Ce sont des gens qui ne s’expriment pas encore parfaitement, mais nous sommes sur la même longueur d’onde. Ils ont envie de travailler et ça se voit, assure Philippe Heuzebroc. Je ne suis pas nécessairement altruiste, mais ça me fait plaisir de savoir que j’aurai aidé une ou deux personnes à commencer à travailler, à leur mettre le pied à l’étrier. » L’entreprise a facilité les choses en trouvant un logement provisoire pour les quatre stagiaires.
Cours sur la civilisation arabe
Ali (son prénom a été modifié à sa demande), lui, a été repéré par une responsable de l’université Clermont-Auvergne, qui participe au projet européen Collab visant à intégrer des réfugiés dans le corps enseignant. Quatre Syriens (deux femmes et deux hommes), deux Syriens, un Guinéen et un Soudanais vont ainsi donner des cours de gestion, de communication interculturelle ou de marketing.
Accompagné d’un professeur titulaire, Ali, qui est titulaire d’un master de sociologie et qui exerçait comme professeur assistant à l’université de Khartoum, doit commencer, mardi, une série de cours sur la civilisation arabe contemporaine en licence 3 d’arabe. « Je vais leur parler du Soudan, bien sûr, mais aussi de l’Arabie saoudite et de l’Egypte », explique-t-il, enthousiaste.
« Nous avons cherché à ce que le profil et l’expérience des réfugiés servent aux étudiants, l’idée étant de montrer qu’ils peuvent assurer des cours qui sont dans les maquettes des formations », explique la responsable du projet, Cécilia Brassier-Rodrigues. L’intégration par le travail, un nouveau pas en avant pour ces réfugiés dont l’un des principaux objectifs est de se rendre utiles dans le pays qui les accueille.
Pablo Aiquel est journaliste indépendant. Il travaille pour La Gazette des communes comme correspondant Auvergne et ruralités.