Sur Internet et les réseaux sociaux, l’inlassable traque des personnes disparues
Sur Internet et les réseaux sociaux, l’inlassable traque des personnes disparues
Par Bruno Lus
Le Web regorge de groupes Facebook, vidéos YouTube ou blogs enquêtant sur des disparitions d’enfants non résolues. Des recherches utiles, mais qui échappent parfois à tout contrôle.
« Nous sommes toujours dans l’attente de la vérité. » Ce post Facebook déchirant, accompagné de photographies de la petite Maëlys, a été publié le 27 septembre, de manière publique, par la mère de l’enfant disparue. Si Nordahl Lelandais ne nie plus son implication dans la disparition de la fillette, le scénario qu’il avance concernant la mort de Maëlys change sans cesse. « De tout cœur avec vous, encore et toujours », répond une certaine Pamela à la mère de Maëlys, au milieu de témoignages de soutien, de milliers de réactions et de partages sur Facebook. « Nous serons derrière vous et vous soutiendrons dans votre combat pour la vérité. Tu peux être fière de toi Jennifer, tu es une battante, une femme forte et digne… Jamais nous n’oublierons votre magnifique princesse. On vous aime. »
Comme celle de Maëlys, en août 2017, plus de 600 des 50 000 disparitions annuelles de mineurs sont qualifiées d’« inquiétantes », ce qui signifie que les éléments de l’enquête ne permettent pas de déterminer les motifs. Dans l’affaire Maëlys, les restes du corps ont été retrouvés en février, et un meurtrier présumé est entre les mains de la justice. Mais d’autres disparitions restent non élucidées depuis des années, à l’instar de celle d’Estelle Mouzin, en 2003.
Outre l’implication des proches, ces énigmes fédèrent désormais souvent des communautés en ligne. Sur les réseaux sociaux, des internautes publient sans relâche hommages, rebondissements dans les enquêtes ou nouvelles disparitions. Un exemple parmi d’autres : cette vidéo « Appel à témoins Fiona », vue plus de 30 000 fois, publiée en 2013 sur la chaîne YouTube « Solidarité alerte », quatre mois avant que la mère avoue sa responsabilité dans l’affaire.
Community managers bénévoles
Annie gère depuis 2012 la page Facebook « Diffusion de fugues et disparitions » à plus de 72 000 « j’aime ». A 53 ans, sans emploi, elle ne compte pas ses heures : « Ma journée dure de 10 h 30 à 1 h 30. Mes proches trouvent que je passe trop de temps sur Internet ! » Cette mère de famille a commencé à la suite des disparitions à Nantes – sa ville – de Rémy Calmejane et Grégoire Rigault, en 2010, retrouvés morts depuis. « Ils avaient une vingtaine d’années, l’âge de mes enfants… »
Avec une amie, elles relaient des dizaines de disparitions et d’appels à témoins par semaine. « Soit les avis de recherche sont parus dans la presse, soit les parents me contactent. » Une certitude : « Les signalements d’enfants sont très partagés. C’est notre façon d’aider. On aimerait participer aux battues et coller des affiches, mais en tant que bénévoles on n’en a pas toujours les moyens. »
Un travail acharné aussi mené depuis six ans par Carmen, 68 ans, sur la page Facebook « Recherches & ressources entraide » à plus de 34 000 « j’aime ». La retraitée alsacienne bannit « les internautes irrespectueux envers les parents » et fait « des rappels pour que les personnes recherchées ne tombent pas dans l’oubli ». « Si mes publications peuvent servir… », espère-t-elle.
« Les disparitions de mineurs génèrent énormément d’émotion et d’empathie. Donc elles rayonnent sur les réseaux sociaux, terrain rêvé pour les apprentis enquêteurs », explique Quentin Chaix, le community manager de l’association 116 000 Enfants disparus, chargé du numéro européen d’urgence en cas de disparition d’enfant. Avec 77 000 « j’aime » sur Facebook et 3 200 abonnés sur Twitter, son travail consiste à « soutenir les familles, leur montrer que la mobilisation dépasse leurs cercles proches et recueillir des témoignages – même s’il faut faire le tri ! »
Contrairement à nombre d’internautes, 116 000 Enfants disparus ne court-circuite pas les forces de l’ordre. « Après demande des parents, on travaille avec l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP). Cette structure mixte policiers-gendarmes nous met en lien avec la brigade locale pour authentifier la disparition et savoir si la diffusion de l’avis de recherche ne nuit pas à l’enquête. S’assurer aussi que, si la personne disparue est fragile ou à la merci d’un criminel, cela ne risque pas de pousser à commettre l’irréparable », explique M. Chaix.
« Effet boule de neige »
Autre problème : « Les avis de recherche qui marchent le mieux en termes d’audience sont émis par les familles elles-mêmes. Mais souvent, elles ne savent pas à quoi elles s’exposent : en lançant une “bouteille à la mer”, elles se retrouvent le lendemain avec 50 000 partages et 2 000 commentaires. » Sans compter les appels en pleine nuit, les faux témoignages, ou les conflits avec les proches : « Après la diffusion du signalement d’un enlèvement parental, même avéré, il est fréquent que la famille du père et celle de la mère se déchirent dans les commentaires. »
Malgré tout, la recherche en ligne porte ses fruits. « Dans le Nord, récemment, un jeune homme qui était parti de chez sa mère a eu un déclic en voyant son avis de recherche sur les réseaux sociaux. Il s’est rendu compte de la gravité de son acte et s’est signalé à la police. » Autre cas fréquent pour le 116 000 Enfants disparus : « L’ado qui voit sa photo sur Facebook et nous aborde pour nous expliquer les raisons de sa fugue. Ce premier contact nous permet de rassurer les parents. »
Certaines familles refusent l’attente et se lancent malgré les risques dans une traque numérique. « J’ai créé une page Facebook en 2016 pour la disparition de ma belle-fille de 14 ans, Marilou », raconte Christian (qui a souhaité conserver l’anonymat). Ce Québécois, cinquantenaire, poste le signalement de l’adolescente, « énormément relayé » sur les réseaux sociaux et dans la presse. Marilou est retrouvée saine et sauve cinq jours plus tard.
Convaincu de « l’effet boule de neige des partages », Christian a depuis « décidé de continuer la page. Je veux aider les parents qui vivent cette horrible situation ! » Son groupe « Retrouvons nos enfants disparus » compte aujourd’hui plus de 2 000 membres – et de nombreux messages de remerciements.
L’ombre des théories du complot
Nombreuses sont de telles pages de recherche amateurs à quelques centaines ou milliers de membres. Si Quentin Chaix reconnaît leur utilité, la méfiance est de mise : « Certaines personnes publient des avis de recherche fantaisistes, ou instrumentalisent les disparitions de mineurs en diffusant la théorie d’un complot pédophile. » L’un des exemples les plus connus en la matière a été le « Pizzagate » aux Etats-Unis, un délire viral en 2016 sur un trafic d’enfants organisé depuis une pizzeria par l’entourage de la candidate à l’élection présidentielle américaine Hillary Clinton.
Cette théorie s’appuie notamment sur l’affaire de Zandvoort. En France, une vingtaine de parents auraient reconnu leur enfant disparu après la découverte, aux Pays-Bas, en 1998, d’un CD-ROM de 8 500 images pédopornographiques. Mais, en 2003, le parquet des mineurs de Paris prononçait un non-lieu dans cette affaire.
« Sur Internet, les disparitions inquiétantes d’enfants ne sont vues que sous le prisme – rare – du meurtre sexuel, explique Véronique Campion-Vincent, sociologue des rumeurs et retraitée du CNRS. Avant le mouvement des Missing children, dans les années 1980 [une campagne américaine d’affichage de portraits d’enfants disparus sur des briques de lait], la pédophilie était un sujet qu’on mettait sous le boisseau. Sur les réseaux sociaux, nous sommes passés du déni à l’obsession. »
Et Quentin Chaix de conclure, d’une voix blanche : « Mais, quelque part, en relayant des signalements – pour d’extrêmement mauvaises raisons, qui posent d’énormes questions éthiques –, ces gens-là contribuent aussi aux recherches. »