Pouvana’a a Oopa, ancien député et sénateur de la Polynésie française, en 1960 à Paris. / - / AFP

Un long combat de presque soixante ans. Jeudi 25 octobre 2018, la Cour de cassation, suivant les conclusions de l’avocate générale, a annulé le jugement d’octobre 1959 par lequel Pouvana’a a Oopa, ancien député et sénateur de la Polynésie française, avait été condamné à huit ans de prison et quinze ans d’exil en métropole. Le « Metua » (le père) du nationalisme tahitien avait été accusé, à tort, d’avoir tenté d’incendier la ville de Papeete.

Lors de l’audience de révision du procès à la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 5 juillet, Teiha Stephenson, arrière-petit-fils, et Sandro Stephenson, petit-fils du « Metua » étaient entourés de quelques proches et des députés de la Polynésie française Moetai Brotherson (Gauche démocrate et républicaine) et Maina Sage (UDI, Agir et indépendants). Tous anxieux de voir aboutir le « combat d’une vie » pour réhabiliter la mémoire de celui qui fut écarté de la vie politique par cette condamnation de la « justice coloniale ».

Pouvana’a a Oopa, de son vrai nom Pouvana’a Tetuaapua, est né en 1895 sur l’île de Huahine. Ancien combattant de la première guerre mondiale, il a joué un rôle clé dans le ralliement de ce qu’on appelle alors les Etablissements français de l’Océanie (EFO) à la France libre de Charles de Gaulle en 1940. Mais ses critiques contre les abus de certains fonctionnaires métropolitains lui valent déjà d’être assigné à résidence à Huahine jusqu’en décembre 1945.

« Commande de l’exécutif »

Alors que les EFO sont devenus en 1946 un territoire d’outre-mer, Pouvana’a s’affirme comme la figure de proue du mouvement anticolonialiste. En août 1949, il est élu député, le premier député de Polynésie d’origine tahitienne, et fonde le Rassemblement démocratique des populations tahitiennes (RDPT). Son mouvement remporte successivement les élections territoriales, à l’Assemblée de l’Union française et au Conseil de la République, tandis que lui-même est réélu en 1951 et en 1956.

Vice-président et ministre de l’intérieur dans le premier Conseil de gouvernement de ce qui s’appelle désormais la Polynésie française depuis la loi Defferre de 1956, il milite pour le non au maintien dans la République française lors du référendum constitutionnel de 1958. C’est le début de sa disgrâce. Le Conseil de gouvernement est dissous le 8 octobre 1958 et Pouvana’a arrêté le 11, accusé de « complicité de destruction d’édifices et détention d’armes ». Un an plus tard, il est jugé et condamné, rayé du paysage politique.

Pourquoi cet acharnement contre ce dirigeant nationaliste ? Pour Me Emmanuel Piwnica, qui plaidait devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, « il était considéré comme d’autant plus dangereux qu’il était raisonnable, légaliste ». « Sa condamnation a été une livraison de service à une commande de l’exécutif », assure l’avocat. Pour l’avocate générale, Solange Moracchini, le procès de 1959 ne répondait pas aux « règles du procès équitable ».

Pouvana’a a Oopa a toujours nié avoir commandité les deux incendies survenus à Papeete dans la nuit du 10 au 11 octobre 1958. Depuis, des gendarmes ont reconnu que, pour nourrir l’accusation, des témoignages avaient été fabriqués ou extorqués sous la menace. D’autres témoignages, au contraire, susceptibles de le laver de toute responsabilité, ont été écartés. Sans parler de la note du gouverneur, datée du 9 octobre 1958, annonçant l’arrestation du dirigeant nationaliste pour avoir projeté d’incendier la capitale tahitienne, alors qu’il était encore libre et que les incendies n’avaient pas encore eu lieu… De nombreuses invraisemblances entachent cette condamnation.

Gracié de sa peine de prison en 1966, Pouvana’a a Oopa est autorisé à regagner la Polynésie en 1968, puis amnistié en 1971. Il est alors élu sénateur mais n’a de cesse de demander la révision de son procès. Après son décès, en 1977, ses descendants reprennent la suite de son combat et ce n’est qu’en 2014 que la ministre de la justice, Christine Taubira, saisit la commission de révision des condamnations pénales. Trois générations auront été nécessaires pour rendre justice au « Metua ». Et tourner une page sombre de l’histoire coloniale.