Les ingénieurs, véritables « couteaux suisses » de la filière bois
Les ingénieurs, véritables « couteaux suisses » de la filière bois
Par Eric Nunès
Aux usages divers et variés du bois correspondent autant de formations qui sont dispensées à l’Enstib, dans les Vosges.
Ecole nationale supérieur des technologies et industries du bois (Enstib). / Eric Nunès/Le Monde
C’est un épicéa, grand gaillard d’une quarantaine de mètres de haut. Sa première épine, il l’a faite sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, dans une immense futaie sombre d’une forêt vosgienne. Après quarante années de croissance, les racines plantées sur un coteau, son corps souple et robuste va connaître de nouvelles vies : charpente, meuble, combustible, chimie…
Construire, déconstruire, recycler et ressusciter une pièce de bois, c’est le cœur de la mission pédagogique de l’Ecole nationale supérieure des technologies et industries du bois (Enstib), à Epinal (Vosges), qui forme, chaque année, une centaine d’ingénieurs, spécialistes de la filière. Des garçons et des filles « couteaux suisses », comme les décrit Laurent Bléron, directeur de l’établissement. Car, pour extraire d’un arbre toutes ces vies potentielles, il faut maîtriser autant la biologie, la mécanique que la physique des matériaux afin de redonner un usage et une valeur économique à de l’ancien et former un cercle écoresponsable, respectueux de la matière.
Construction et déconstruction
Résistant et souple, le bois fait son retour dans la construction. En Norvège, la tour de Mjøs est en train de voir le jour à Ringsaker, à 160 kilomètres au nord d’Oslo. Elle mesurera plus de 84 mètres. Inutile de couper des arbres géants pour bâtir l’édifice, les immenses poutres qui la composent sont en bois lamellé-collé. La méthode consiste en un assemblage de plaques de bois. « Il n’y a plus de problème de longueur, les produits structurels peuvent être infinis », mentionne Laurent Bléron. A l’école, on apprend à « qualifier les matériaux », en clair à calculer leur souplesse et leur résistance à grand renfort d’algorithmes pour s’assurer de la longévité de l’assemblage. Et puis, « le bois vibre bien », rappelle l’enseignant. L’affaiblissement acoustique du matériau est du nombre des défis à relever dans la construction en bois d’un édifice, mais c’est en marche.
Bien qu’il demeure « des verrous scientifiques à lever, on peut construire des bâtiments de grande hauteur », affirme Laurent Bléron. De nouveaux types de constructions vont voir le jour et « il faut, dès maintenant, imaginer la déconstruction ». Penser un immeuble appelé à être centenaire et penser aussi à ceux qui, plusieurs générations plus tard, le déconstruiront et accorderont une troisième vie au vieil épicéa vosgien.
Construction et déconstruction sont des éléments indissociables dans les cursus de l’Enstib, car ils sont au centre des intérêts économiques des employeurs des futurs ingénieurs et techniciens. « Dans l’ameublement, il faut intégrer le fait que les clients renouvellent de plus en plus leur mobilier », souligne Dominique Weber, président de WM88, fabricant de cuisines et de salles de bains. Alors qu’au siècle dernier une armoire normande pouvait passer de génération en génération, « la rotation des produits mobiliers s’accélère, il est donc nécessaire de penser et gérer le cycle de vie des produits », poursuit l’entrepreneur.
A Ikea, à Conforama et consorts, les meubles en bois brut se font rares. Le mobilier est souvent composé de panneaux de particules, des plaques fabriquées avec différents déchets, sciures, copeaux, meubles en fin de vie « que l’on broie et que l’on mélange avec un peu de bois frais », raconte M. Weber. Une nouvelle vie et un nouvel usage donc, « et des économies pour l’entreprise qui réalise les panneaux en utilisant une matière première gratuite », observe Alain Renaud, professeur de conception production à l’Enstib.
Mais l’utilisation de panneaux de particules a ses limites, car le matériau ne peut être broyé et recomposé indéfiniment, « alors que le bois massif non traité est plus facilement recyclable », analyse Dominique Weber : « C’est un argument important pour le design du produit et pour la perception du consommateur sur son achat. L’écoconception est une belle opportunité pour remettre au goût du jour le bois. Elaborer du mobilier avec des déchets, des palettes usagées fait partie des études sur projets que nous menons à l’Enstib. Cette responsabilité environnementale est bien ancrée dans l’esprit de nos étudiants qui sont convaincus que leurs réalisations peuvent modifier les comportements d’achat. »
Du carburant à la peinture
La vie d’un tronc ne s’arrête pas aux assauts de la tronçonneuse du bûcheron. Après la coupe, le bois se dégrade, offre un territoire de choix aux insectes, aux champignons, aux bactéries. L’activité de ses micro-organismes peut faire du bois « une source de biomasse qui va générer des molécules utilisables pour créer du biocarburant, du bioéthanol », expose Arnaud Besserer, maître de conférences à l’Enstib en biologie de la dégradation du bois.
Il est donc possible de faire du carburant avec du bois, mais pas seulement, les usages possibles de sa dégradation étant multiples. « Alors qu’il existe des millions de tonnes de déchets d’ameublement, nous recherchons des procédés de dégradation respectueux de l’environnement pour en faire quelque chose d’utilisable », indique l’enseignant. Depuis longtemps, le pin des Landes est utilisé dans la parfumerie. « En choisissant les bons champignons, les bonnes bactéries, il est possible de faire des colles, du bioplastique, des adjuvants pour la peinture », révèle-t-il.
D’autres retraitements du bois mènent à des usages difficilement imaginables. « A partir du bois, on peut obtenir des cristaux de cellulose, qui seront les écrans de nos téléphones portables. Des champignons assimilent des bois traités et nos recherches sur leurs molécules pourraient avoir des débouchés pharmaceutiques. On utilise également le bois comme matériau de départ pour fabriquer la peinture des avions de chasse pour en faire des avions furtifs », énumère M. Besserer. La liste n’est pas exhaustive, et l’intérêt écologique est, lui, considérable, car la biomasse est présente sur l’ensemble du territoire et peut contribuer à alimenter une économie circulaire.
Le bois enfin, depuis des millénaires, sert à se chauffer. Aujourd’hui encore, « le bois énergie représente 47 % des énergies renouvelables en France », selon l’Observatoire économique de France Bois Forêt. « Les sous-produits de la sylviculture (écorce, sciure, branchages, arbres morts…) sont compactés pour réaliser des plaquettes ou des granules. Faciles à transporter et à manipuler, ils alimentent poêles et chaudières », détaille Yann Rogaume, professeur en énergétique et génie des procédés. Le bois est également une ressource de proximité dynamique puisque seulement 50 % de l’accroissement biologique annuel des forêts sont exploités.
Construction, ameublement, biologie, chimie, énergie…, les vies d’un épicéa et de ses congénères sont aussi variées que les métiers de la filière, qui emploie en France 440 000 personnes. « Les entreprises embauchent », assure Laurent Bléron. L’Enstib reçoit chaque année plus de cinq cents offres d’emploi pour ses étudiants, davantage que l’école n’en forme. Pour les jeunes diplômés de la filière bois, il n’est même pas utile de traverser la rue pour trouver un emploi.
« Le Monde » organise son Salon des grandes écoles les 10 et 11 novembre
La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, Cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures.
Plus de cent cinquante écoles de commerce, d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées et prépas y seront représentées, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac + 2, + 3 ou + 4). Lycéens, étudiants et parents pourront également assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt « coachs » pourra également conseiller lycéens, étudiants et parents pour définir leur projet d’orientation, préparer les concours ou rédiger leur CV.
L’entrée en sera gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon. Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.