Arte, dimanche 28 octobre à 17 h 35, documentaire

Comme souvent à 20 ans, on souhaite changer le monde, le remettre en cause, le démolir pour en créer un autre évidemment meilleur. Eux ont réussi à réaliser ce rêve de jeunesse et à transformer en profondeur leur univers, celui de l’art, à tout jamais.

En 1906, Georges Braque et ­Pablo Picasso ont 24 et 25 ans. La butte Montmartre est leur sanctuaire parisien où se croisent les artistes en manque de reconnaissance. Braque et Picasso se lient d’amitié au point de ne plus se quitter. Pour le moment, leurs ­toiles n’intéressent pas grand-monde ; seuls Apollinaire, alors âgé de 26 ans, et le jeune galeriste Daniel-Henry Kahnweiler, 22 ans, décèlent en eux un immense potentiel. Et outre leur passion pour la peinture, ces quatre garçons inséparables partagent la même ­appétence pour la modernité.

A cette époque, Claude Monet règne en maître sur l’art, et l’impressionnisme s’impose comme la référence absolue pour la critique

A cette époque, Claude Monet règne en maître sur l’art, et l’impressionnisme s’impose comme la référence absolue pour la critique. Cette dernière est allergique à toute nouveauté et à toute audace. Picasso n’y prêtera pas attention : il est du genre radical. Pour parfaire son style, il s’inspire, notamment, du tableau Le Bain turc, de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1862). Le jeune Espagnol est attiré par les courbes déformées des femmes de cette toile. Dans son atelier du « Bateau-lavoir », il s’attaque à ces corps féminins jusqu’à les déstructurer. C’est ainsi qu’il propose Les Demoiselles d’Avignon, qui va effrayer ses contemporains et même, au départ, son ami Braque.

Ce dernier va lui aussi remettre en cause les fondamentaux de l’art. Ainsi, quand Henri Matisse présente La Femme au chapeau (1905), certains journalistes s’offusquent des couleurs vives et des formes perçues comme simplistes de l’œuvre allant jusqu’à qualifier le peintre de « fauve ». Braque voit, au contraire, en cette toile un espace de liberté et un nouvel horizon. Il se rend comme Paul ­Cézanne – qu’il admire – à L’Estaque, hameau de pêcheurs proche de Marseille, pour peindre des paysages : c’est là-bas qu’il va peu à peu s’affranchir de toutes les ­conventions artistiques en malmenant les perspectives et les lignes jusqu’à réduire les maisons à leur forme la plus sommaire. Matisse, lui, se moquera des « petits cubes » de Braque et le « cubisme » – avant de devenir un courant ­artistique – sera un terme péjoratif incarnant ce que l’on ne comprend pas dans cet art nouveau.

Choquer et innover

Apollinaire vient en aide à ses deux amis peintres dans différentes publications où il vante leur génie. Comme Braque et Picasso ne veulent plus exposer leurs nouvelles créations à cause des critiques acerbes, Kahnweiler décide, lui, de tourner le dos au marché français et de vendre leurs tableaux à des collectionneurs étrangers. Pari gagnant.

Braque et Picasso continuent de choquer et d’innover : collage, ajout de matériaux comme du ­sable, utilisation de peinture industrielle comme le Ripolin… C’est ce que raconte Picasso, Braque & Cie, la révolution cubiste. Ce documentaire s’intéresse particulièrement aux premières années des deux artistes qui ont révolutionné la peinture. Surtout, ce film décrit la complicité fusionnelle de Braque et Picasso, qui a poussé les deux compères à se surpasser et à faire abstraction des scandales. Un monde à (re)découvrir à travers l’exposition « Le cubisme », jusqu’au 25 février 2019, au Centre Pompidou, à Paris.

Lire la critique de l’exposition : Le cubisme, mouvement pluriel

Picasso, Braque & Cie, la révolution cubiste, de Frédéric Ramade (France, 2018, 52 min). www.arte.tv