Trente ans après Sankara, le second souffle du « consommons burkinabé »
Trente ans après Sankara, le second souffle du « consommons burkinabé »
Par Sophie Douce (Ouagadougou, correspondance)
Plus grande foire d’artisanat d’Afrique, le salon international de Ouagadougou témoigne d’une nouvelle fièvre patriotique pour le « made in Burkina ».
Un vendeur de sandales au Salon international de l’artisanat de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 27 octobre 2018. / ISSOUF SANOGO / AFP
« Faso dan fani, koko dunda, batik, on vous fait un bon prix ! », scande un vendeur de tissus. Du vendredi 26 octobre au dimanche 4 novembre, le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), au cœur de la capitale burkinabée, a présenté un immense capharnaüm d’étoffes colorées, de poteries en terre cuite et de masques sculptés. « On attendait ça depuis des mois, je ne rate pas une seule édition », glissait une cliente pressée, tentant de se frayer un chemin parmi la foule.
Au total, plus de 3 600 exposants, venus de 26 pays d’Afrique, se sont donné rendez-vous pour la 15e édition de la plus grande foire d’artisanat du continent, créée à l’initiative de l’ancien président révolutionnaire Thomas Sankara (1983-1987). Cette année, plus de 360 000 visiteurs étaient attendus, selon les organisateurs. « C’est une belle vitrine pour nous, ça nous permet de nous faire connaître auprès des acheteurs internationaux », se félicite Moussa Dicko, un jeune bronzier ouagalais.
« Il y a un regain d’intérêt pour les produits artisanaux locaux ces dernières années au Burkina Faso. Le président Roch Marc Christian Kaboré a réussi à remettre au goût du jour le faso dan fani en portant ce tissu à chacune de ses apparitions, c’est une fierté nationale », pointe Dramane Tou, le directeur du SIAO. Fervent défenseur du « consommons burkinabé », Thomas Sankara était allé jusqu’à imposer le port de ce pagne tissé aux fonctionnaires.
« Nous oublions notre culture »
Depuis la chute du président Blaise Compaoré, en 2014, une nouvelle fièvre patriotique semble avoir gagné les Burkinabés. Tenues traditionnelles, cuisine et musique locales, tee-shirts « burkindi » (« intégrité », en moré, en référence au nom du « pays des hommes intègres »)… Le « made in Burkina Faso » s’impose désormais sur les stands du SIAO aux côtés de ses voisins ivoiriens, togolais et camerounais.
« En rentrant au pays, je me suis dit qu’il y avait un gros potentiel qui n’était pas exploité. On a le savoir-faire et les matières premières, pourquoi ne pas les utiliser ? », explique Carole Sanhouidi derrière ses sacs en lwili pendé, le tissu national aux motifs d’hirondelles. Cette créatrice burkinabée de 32 ans, diplômée d’un master, a fondé sa marque, baptisée Femfaso en hommage aux femmes tisseuses de son pays, il y a cinq ans. « Je travaille à 100 % avec des ouvriers du Faso et des matières locales, comme le pagne tissé et le cuir. Ça n’a pas été facile au début, ma famille ne comprenait pas. Ici, ceux qui font de l’artisanat, ce sont ceux qui n’ont pas le choix ou qui ne sont pas allés à l’école. » Son rêve désormais : « Exporter ! Pour l’instant, 80 % de mes ventes sont nationales. »
Valoriser le savoir-faire et l’identité burkinabés, une évidence également pour Maré Abidou, une créatrice de poupées noires en tissu traditionnel qui a monté sa petite entreprise à l’âge de 29 ans à Ouagadougou. « Enfant, j’ai grandi avec des Barbies blanches, c’est compliqué pour s’identifier. A 12 ans, j’ai dit à ma mère : “Plus tard, je créerai des figurines qui me ressemblent, noires de peau, les cheveux tressés et habillées en pagne” », se souvient-elle. « Les Burkinabées cherchent de plus en plus à s’affirmer en tant que femmes africaines. Certaines clientes m’ont même commandé une grosse poupée à leur effigie pour leur salon », s’amuse cette cheffe d’entreprise, à la tête de six couturières formées par ses soins.
Maré Abibou, créatrice de poupées noires en tissu traditionnel, au Salon international de l’artisanat de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 26 octobre 2018. / ISSOUF SANOGO / AFP
« Nous oublions notre culture alors que nous avons de bons produits locaux. Il faut les valoriser, pas besoin d’aller les chercher en Europe », confirme Andréa Goumbane, fondatrice d’une unité de production de moringa, une plante traditionnelle. Pour faire sa place dans le monde de l’artisanat, cette ancienne couturière de 52 ans a dû se battre : « Quand tu n’as pas beaucoup d’argent, c’est difficile de se lancer seule dans l’entrepreneuriat au Burkina. J’ai pris un crédit de 1,5 million de francs CFA [près de 2 300 euros] pour acheter un terrain. Quand j’allais au champ, les gens s’étonnaient. Les femmes n’ont pas accès à la terre normalement. Les choses ont changé ! »
Statuettes et babioles asiatiques
Pour les artisans qui veulent se lancer ou se développer, les freins sont aussi structurels. « Les artisans burkinabés ont des difficultés sur le plan juridique pour créer leur entreprise, pour se former et pour se montrer compétitifs, les moyens de production restant rudimentaires », analyse Sylvie Meda Sontie, directrice générale de l’artisanat au ministère du commerce.
Autre ombre au tableau : la concurrence étrangère, qui menace les petits commerçants, souvent cantonnés au secteur informel. Ces dernières années, sur les étals des marchés de la capitale, les tissus imprimés, les statuettes et les babioles fabriquées en Asie à bas prix se sont multipliées. « Tout l’enjeu est de structurer ce secteur pour soutenir les fabricants et les protéger de l’arrivée des produits chinois, par exemple sur le tissu ou le bronze. Il faudrait créer un label national, nous ne voulons pas de produits burkinabés “made in China” », martèle Sylvie Meda Sontie.
L’enjeu est de taille : avec près de 2 millions d’artisans aujourd’hui contre 500 000 il y a vingt ans, selon le ministère du commerce, ce secteur est en pleine expansion. « Son principal atout est d’être avant tout utilitaire. Ici, tout le monde utilise au moins un produit artisanal chaque jour, que ce soit pour s’habiller, manger, se chauffer ou se déplacer », affirme Dramane Tou. L’artisanat contribuerait à environ 30 % du PIB, avec quelques exportations vers l’Europe, les Etats-Unis et la Chine notamment. Une manne financière qui reste pourtant difficile à chiffrer. « Ces données sont approximatives, nous n’avons pas de statistiques officielles. Nous travaillons au recensement des fabricants depuis 2014, c’est un processus de longue haleine », précise-t-on à la direction de l’artisanat.