« Sale temps à l’hôtel El Royale » : crime service dans toutes les chambres
« Sale temps à l’hôtel El Royale » : crime service dans toutes les chambres
Par Thomas Sotinel
Accumulant les numéros d’acteurs divertissants dans l’espoir de tirer le portrait des Etats-Unis sous Richard Nixon, le film noir de Drew Goddard vacille sous son poids.
Bâti sur la frontière qui sépare la Californie du Nevada, l’hôtel El Royale, tel que l’a dessiné le scénariste (Buffy contre les vampires, Seul sur Mars…) et réalisateur (La Cabane dans les bois, 2012) Drew Goddard, est une espèce de trou noir qui attire et concentre tous les vices de ces deux Etats : dépravation, corruption, lucre… il suffit de demander à la réception.
Dans ce bouge au décor désuet (le film se passe quelques mois après l’élection de Richard Nixon, l’hôtel a été construit sous Eisenhower), une poignée de voyageurs viennent tenter leur chance. Comme on s’en doute dès le prologue – court-métrage éducatif sur la meilleure manière de cacher un butin dans une chambre close –, les protagonistes, à une ou deux exceptions près, ne sont pas animés des meilleures intentions.
L’ambition de Drew Goddard est d’entrecroiser ces convoitises, ces pulsions meurtrières, pour tisser une tapisserie historique, l’image d’un pays en pleine décomposition. Le cinéaste avait déjà tenté ce genre de tour de passe-passe dans La Cabane dans les bois, en introduisant une bonne dose de vertige métaphysique dans un pastiche de film d’horreur.
Le résultat est ici excitant et frustrant, les fulgurances – souvent servies par des acteurs de premier ordre – sont voilées par la durée excessive du film, par la confusion entre ambition et présomption.
De terribles secrets
En ce jour pluvieux se présentent à la réception un prêtre catholique (Jeff Bridges) qui, de toute évidence, n’a jamais été ordonné, une chanteuse de rhythm’n’blues (Cynthia Erivo), venue courir le cachet à Reno, dont l’hôtel n’est pas éloigné, un représentant en électroménager (John Hamm) qui en fait des tonnes, même pour un VRP, et une hippie dissimulée derrière de grosses lunettes noires (Dakota Johnson). A la réception, un jeune et sympathique héroïnomane (Lewis Pullman) les oriente vers des chambres qui, elles aussi, dissimulent de terribles secrets. Piège pour politicien érotomane, coffre-fort improvisé, studio de répétition, l’El Royale n’est pas avare en options.
D’une manière si traditionnelle qu’elle en devient attendrissante, Drew Goddard établit une hiérarchie morale entre ses personnages. Au sommet se trouve Darlene, la chanteuse afro-américaine à qui une industrie musicale (incarnée ici, en un saisissant flash-back, par Xavier Dolan) blanche et patriarcale a volé sa carrière. Vient ensuite le père Flynn, faux prélat, vrai truand, mu par un code d’honneur désuet. Dire ce qui meut les autres personnages serait priver les éventuels occupants de l’El Royale de maintes surprises, sanglantes, pour la plupart.
Galerie de monstres
Face à cette galerie de monstres pris dans les convulsions de l’histoire (Drew Goddard n’en oublie aucune, du mouvement pour les droits civiques à l’effondrement de la contre-culture, en passant par le Vietnam et l’emprise du FBI sur la vie publique américaine), le film oppose le duo que finissent par former Cynthia Erivo et Jeff Bridges. L’actrice britannique (que l’on verra bientôt dans Les Veuves, de Steve McQueen) chante autant qu’elle joue, c’est une bonne chose pour le film qui trouve, grâce à ce personnage, l’occasion de dissiper les miasmes qui le menacent.
Après avoir joué des hommes vieillissants, au bord de la retraite (Crazy Heart, Comancheria), Jeff Bridges entre ici de plain-pied dans la vieillesse. Il donne une fragilité inattendue à son personnage de truand qui perd peu à peu la mémoire.
Ce duo conforte la patience des spectateurs. Celle-ci est néanmoins mise à rude épreuve par l’ultime demi-heure du film. L’apparition de Chris Hemsworth, version culturiste de Charles Manson, l’ultime flash-back, ne font pas monter les enjeux, comme l’espérait l’auteur. Sous cette accumulation, le vieil hôtel menace plutôt de s’effondrer.
Sale temps à l'Hôtel El Royale | Bande-Annonce [Officielle] VF HD | Greenband | 2018
Durée : 02:02
Film américain de Drew Goddard.Avec Jeff Bridges, Cynthia Erivo, John Hamm (2 h 24). Sur le Web : www.foxfrance.com/sale-temps-a-lhotel-el-royale et www.foxmovies.com/movies/bad-times-at-the-el-royale