« Au revoir là-haut » : grande guerre et petit sadique
« Au revoir là-haut » : grande guerre et petit sadique
Par Jacques Mandelbaum
Le réalisateur Albert Dupontel signe un film sur les « gueules cassées » où la recherche de perfection étouffe quelque peu la vie.
En 2014, on sortait avec la banane de Neuf mois ferme, comédie surréaliste d’Albert Dupontel, entre Georges Feydeau et Roger Vitrac, confrontant une juge évasive à un serial killer méticuleux. Il s’en faut de beaucoup qu’Au revoir là-haut suscite le même sentiment. Il n’est d’ailleurs pas fait pour ça. Adapté du roman de Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2013, le film est un exercice de style ambitieux dans le Paris des années 1920.
Deux amis, qui se sont sauvés mutuellement la vie dans les tranchées, sortent laminés de la boucherie de la première guerre mondiale. Albert (Albert Dupontel), outre ses illusions, a perdu son métier et sa femme. A Edouard (Nahuel Perez Biscayart), tempérament d’artiste qui se fabrique des masques magnifiques, il manque le bas du visage. Autant dire que ça ne va pas fort. Le premier végète en faisant l’homme-sandwich. Le second ne veut plus entendre parler de sa famille et songe à en finir. L’amitié va les sauver. Les deux hommes remontent la pente. Songeant, d’une part, à retrouver un jour le lieutenant Pradelle (Laurent Lafitte), sombre sadique qui les a envoyés au casse-pipe et, d’autre part, à tirer revanche de l’Etat-Moloch et des ploutocrates qui le servent.
Ambition démiurgique
Le hasard faisant bien les choses, il se trouve que l’immonde Pradelle, qui trafique lui aussi les morts, a épousé la sœur d’Edouard pour son argent, tandis que son père entreprend de financer le mémorial du 8e arrondissement, pour lequel il sollicite des artistes. Les chemins de tous ces personnages vont donc se croiser selon le plan tracé au cordeau d’une farce macabre. Cette prédestination fabriquée, cette ambition démiurgique sont un des problèmes du film : la recherche de perfection étouffe la palpitation de la vie.
L’autre problème, qui le recoupe en partie, tient à la « gloutonnerie » esthétique de son créateur, qui aurait gagné à lutter contre son tempérament. Film de tranchées, reconstitution historique à grands frais de la Belle Epoque, hommage au cinéma de Carné, parabole de la lutte des classes, récit de vengeance, fantaisie morbide, tragédie filiale : cela fait trop pour un seul film, et c’est justement ce en quoi consiste la différence entre cinéma et art romanesque.
Au revoir là-haut, d’Albert Dupontel. Avec Albert Dupontel, Laurent Lafitte, Niels Arestrup (France, 2017, 115 min). www.mycanal.fr