Saisie d’écailles de pangolin à Abidjan, en Côte d’Ivoire, en juillet 2017. / Thierry Gouegnon / REUTERS

Chronique. Lundi 29 octobre, Pékin annonçait la reprise de l’utilisation « à des fins médicales » de l’os de tigre et de la corne de rhinocéros. La directive mettait brutalement fin à vingt-cinq années d’interdiction, relançant la polémique sur le rôle de la Chine dans le braconnage et l’extinction des espèces animales protégées.

Cette annonce surprise avait provoqué une levée de boucliers de la part des ONG de protection de la nature. « Un arrêt de mort », dénonçait Iris Ho, de l’ONG Humane Society International, avec « des conséquences dévastatrices », selon le Fonds mondial pour la nature (WWF). Pour la première fois peut-être, cette mobilisation de la société civile a porté ses fruits : Pékin a annoncé tout aussi subitement, lundi 12 novembre, le prolongement de l’interdiction.

Interdiction du commerce d’ivoire

Avec Pékin, difficile de savoir sur quel pied danser dans ce domaine du trafic d’espèces protégées. A mesure que la Chine renforce son influence en Afrique, elle prend certainement conscience de certaines responsabilités, à commencer par la protection de la faune et de l’écosystème. Ainsi a-t-elle fini par interdire, le 1er janvier, le commerce d’ivoire. Mais son laxisme à appliquer une interdiction totale du commerce des espèces protégées montre que rien n’est acquis.

Rien que cette année, six tonnes d’écailles de pangolin et deux tonnes d’ivoire du Nigeria ont été saisies au Vietnam, à destination de clients chinois. En février, deux tonnes d’écailles étaient confisquées dans la maison d’un expatrié chinois au Nigeria. Quant à la République démocratique du Congo (RDC), elle continue de délivrer des permis de vente de pangolin à la Chine. Les huit espèces du mammifère, autrefois abondantes, ont été décimées.

Au Gabon, on mange encore le pangolin
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Images : AFP web

Pourtant, la Chine aurait largement les moyens de jouer un rôle moteur dans ce domaine et d’améliorer du même coup son image. L’interdiction de la vente d’ivoire a entraîné cette année une baisse spectaculaire de 80 % des saisies d’ivoire en Chine et une baisse de 65 % des prix de l’ivoire brut, selon un rapport publié par l’agence de presse officielle Xinhua. Preuve que quand Pékin s’engage clairement contre le braconnage, les effets sont immédiats. Mais la Chine a beau se moderniser à grands pas, l’appétit pour la médecine traditionnelle ne se dément pas, aux dépens d’espèces animales protégées venues d’Afrique.

Ecailles de pangolin et corne de rhino

Pour comprendre les racines du problème, il suffit d’observer les rayons des pharmacies traditionnelles de Pékin. Là, entre les bocaux de plantes, on trouve encore des écailles de pangolins – censées faciliter les montées de lait chez les jeunes mamans –, de la peau séchée d’âne africain – dont la gélatine permettrait de lutter contre l’anémie et les effets de la ménopause – et de la corne de rhinocéros noir, dont on extrait une poudre de kératine censée traiter les maladies cérébro-vasculaires et servir d’aphrodisiaque.

Dans une enquête réalisée cette année par GlobeScan auprès de près de 2 000 Chinois urbains, 8 % des personnes interrogées à Pékin et 7 % à Canton ont reconnu avoir acheté de la corne de rhinocéros au cours des douze derniers mois. En Chine, un gramme de poudre de corne de rhinocéros coûte entre 50 et 70 euros, soit autant que la cocaïne.

Bien que les ventes transfrontalières soient interdites par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) depuis 2016, les mandarins de Pékin continuent de soutenir un marché intérieur légal. Certains médicaments traditionnels figurent même sur la liste des « médicaments essentiels » publiée par le gouvernement, ce qui en fait un secteur particulièrement lucratif.

Le lobby de la médecine traditionnelle

La médecine traditionnelle chinoise devrait générer près de 38 milliards de dollars (près de 34 milliards d’euros) de chiffre d’affaires en 2018, en augmentation de 11 % chaque année depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, en 2013. Ce fervent défenseur des vertus de la culture chinoise ancienne affirme que la médecine est « un joyau de la science chinoise antique » et appuie le lobby de la médecine traditionnelle.

La Chine utilise son poids politique pour promouvoir cette forme de médecine à l’étranger. Pour la première fois, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ajouté un chapitre à ce sujet dans sa prochaine publication de la « Classification internationale des maladies ». Des diplomates chinois font également pression pour assouplir les contrôles sur le commerce de plusieurs espèces utilisées en médecine traditionnelle.

Les défenseurs des animaux ont donc raison de rester mobilisés et de suivre de près les changements de cap de Pékin dans ce domaine. Tant que la Chine sera le plus gros marché mondial pour les dépouilles d’animaux sauvages, elle souffrira de cette image prédatrice.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.