Six messieurs en costume sombre et, tout à droite, une dame en robe rouge : c’était la dernière photo en date du conseil de régence – le comité de direction – de la Banque nationale de Belgique (BNB). Sur celle qui sera bientôt réalisée, il n’y aura plus que sept hommes : Marcia De Wachter, la première femme à avoir jamais siégé dans ce panthéon de la finance belge, sera remplacée par Steven Vanackere, un ancien et très éphémère ministre des finances. Mme De Wachter va partir à la retraite à la fin de l’année, son successeur est certes économiste mais il recherchait surtout un poste après avoir échoué à devenir gouverneur d’une province ou directeur de l’enseignement catholique flamand.

« Il y aura bientôt, à la Banque nationale, plus de représentants de la famille Frère que de femmes » a tweeté rageusement Mme De Wachter, au début du mois de novembre, lançant ainsi une polémique très embarrassante, façon #MeToo, pour le gouvernement de Charles Michel. Le parti libéral de ce dernier a désigné, en 2017, Cédric Frère, petit-fils du milliardaire Albert Frère, pour le représenter à la BNB, où il a succédé à son père, Gérald Frère.

La désignation de M. Vanackere par sa formation, les chrétiens-démocrates flamands (CD & V), n’aurait sans doute pas fait de vagues en d’autres temps. Elle est conforme aux traditions et pratiques d’ultra-politisation de la fonction publique, surtout à l’approche d’une échéance électorale – les Belges voteront en mai 2019 –, quand les partis au pouvoir tentent de caser leurs membres à des postes clés. Jusqu’ici, la formation politique concernée désignait son candidat et, après un examen rapide de ses compétences par la direction de la banque centrale, le ministre des finances signait l’arrêté de nomination.

Une marche arrière très symbolique

Le débat sur le rôle des femmes dans la vie publique agitant désormais aussi le royaume belge, les choses se passent très différemment cette fois. Au sein même du gouvernement de M. Michel, certains ont jugé malvenue la marche arrière très symbolique intervenue à la BNB. D’autant que les femmes y sont tout aussi rares au comité de gestion qu’au conseil de régence : on ne trouvait, au cours des dernières années, qu’une seule représentante dans cet organe où, à côté du gouverneur de la banque et des directeurs, siègent aussi des représentants du patronat et des syndicats. Soit 25 personnes au total.

Le premier ministre tente d’éteindre le feu qui couve dans sa majorité. Il promet un débat de fond et une prochaine réforme, censée féminiser et moderniser le fonctionnement de la BNB.

« La nomination de M. Vanackere n’a pas été discutée au sein du gouvernement », a indiqué le vice-premier ministre de l’intérieur, Jan Jambon (nationaliste flamand de la NVA). Son collègue libéral flamand Alexander De Croo, vice-premier ministre et ministre de la coopération, jugeait quant à lui « inacceptable » et « illogique » qu’il soit impossible de nommer une femme à un tel poste en 2018. Ce responsable a, il est vrai, publié récemment un livre intitulé Le Siècle de la femme, comment le féminisme peut libérer les hommes (éd. Luc Pire). Le parti chrétien-démocrate (également membre de la coalition de M. Michel) a tôt fait de répliquer que lorsqu’il s’est agi de nommer son représentant, en 2015, le parti de M. De Croo a désigné… un homme.

Le premier ministre tente actuellement d’éteindre le feu qui couve dans sa majorité. Il promet un débat de fond et une prochaine réforme, censée féminiser et moderniser le fonctionnement de la BNB – où les messieurs dînaient encore en smoking il y a quelques années et empruntent toujours un ascenseur accessible seulement à la direction.

Vestige d’un système en partie révolu, la BNB compte encore 1 900 fonctionnaires, dont 29 à des fonctions dirigeantes, alors que, depuis l’introduction de l’euro en 1999 et les réformes européennes de 2011 sur la supervision bancaire, une bonne partie de ses tâches a été transférée à la Banque centrale européenne.

Un entreprise cotée en bourse

Une source interne choisissant de rester anonyme objecte cependant que la banque centrale belge s’occupe de missions qui n’incombent pas à la plupart de ses homologues, comme la surveillance du secteur du crédit. Elle abrite aussi une Centrale des bilans et un Institut des comptes nationaux. Autre particularité belge : la BNB est l’un des rares établissements de ce type à être coté en bourse – pour la moitié de son capital – ce qui fait de aussi de son gouverneur une sorte de directeur exécutif très bien rémunéré (489 000 euros brut en 2017).

Entreprise unique en son genre, obéissant à une loi spécifique, la banque n’est, en outre, pas soumise à des lois de 2011 et 2012, garantissant, en principe, la présence de femmes dans les conseils des entreprises publiques.

L’« affaire Vanackere » aura au moins eu l’effet bénéfique de braquer l’attention sur cette représentation féminine… qui n’existe quasiment pas. Une étude de l’Institut européen pour l’égalité des genres a, en effet, démontré que la Belgique était la lanterne rouge de l’UE pour ce qui est de l’équilibre entre les genres : 10 % de femmes parmi les hauts fonctionnaires, 23 % au « niveau 2 ». Pour 35 %, en moyenne, dans le reste de l’Union.