Editorial du « Monde ». La spectaculaire arrestation de Carlos Ghosn sur le tarmac de l’aéroport de Tokyo, puis la charge violente à son égard de son numéro deux, Hiroto Saikawa, ne laissaient guère de doute sur l’avenir du président de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi. Sans surprise, le conseil d’administration de Nissan a acté, jeudi 22 novembre, la révocation de celui qui a régné sans partage sur le groupe automobile pendant près de vingt ans.

Lui qui s’était forgé une réputation de « tueur » en raison de ses décisions couperets sur la carrière des hommes comme sur l’avenir des usines subit à son tour un châtiment inimaginable il y a encore quelques jours. Les administrateurs de Nissan ont décidé à l’unanimité de mettre fin aux fonctions du plus puissant patron de l’industrie automobile, accusé d’avoir dissimulé aux autorités boursières une part substantielle de ses revenus et utilisé des fonds de l’entreprise à des fins personnelles.

Alors qu’il était sans cesse critiqué pour l’énormité de son salaire et son train de vie fastueux, l’opinion avait déjà tranché sur le sort du PDG, estimant qu’il périt finalement par là où il a péché. Mais les enjeux de cette affaire dépassent largement le rapport à l’argent que M. Ghosn pouvait entretenir. L’Alliance Renault-Nissan, qu’on croyait consolidée après vingt années de coopération industrielle et de succès commerciaux, qui en ont fait le numéro un mondial, n’a jamais paru aussi fragilisée qu’aujourd’hui.

La manière dont le scandale a éclaté laisse dubitatif sur le fonctionnement de l’ensemble et le degré de confiance qui y règne. Comment la partie japonaise a-t-elle pu laisser son principal actionnaire, Renault, dans l’ignorance de ce qui se tramait ? Comment a-t-elle pu prendre de façon unilatérale une décision qui déstabilise les deux entreprises en mettant tout le monde au pied du mur ? Si les faits sont si graves et si confondants, pourquoi ne pas avoir lancé des avertissements en interne comme sur le plan politique ? Enfin, le fait que les malversations aient duré aussi longtemps pose question sur la fiabilité de l’audit de Nissan, laissant penser que les responsabilités sont collectives.

Ghosn, atout et talon d’Achille

Dans son réquisitoire, M. Saikawa a tenté d’apporter un début de réponse en soulignant la « trop forte concentration des pouvoirs » qui était entre les mains de M. Ghosn. De fait, cette affaire éclate alors que le PDG mettait la dernière main à une gouvernance censée pérenniser l’équilibre des pouvoirs au sein d’un attelage dominé par les Japonais sur le plan économique, mais pilotée par les Français sur le plan politique.

Depuis les origines, M. Ghosn était à la fois le principal atout de l’alliance et son talon d’Achille. Il était le seul dirigeant à disposer de la légitimité aux yeux des Français comme à ceux des Japonais, avec le risque que ce ciment se désagrège le jour où le dirigeant partirait. Malgré la difficulté de la tâche, le PDG a eu tout le temps de préparer sa succession. Mais l’hubris et l’avidité l’ont finalement emporté sur toute autre considération. Les dauphins désignés n’ont cessé de défiler, et les schémas d’organisation sont restés à l’état de rumeurs, plaçant aujourd’hui les intérêts français dans une situation d’extrême vulnérabilité. Au-delà du destin d’un patron qui finit comme Icare, c’est tout un pan de notre industrie qui est plongé dans l’incertitude, faute d’avoir suffisamment préparé l’avenir.

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