Au Malawi, le lac Chilwa s’assèche et la population abandonne la région
Au Malawi, le lac Chilwa s’assèche et la population abandonne la région
Le Monde.fr avec AFP
Depuis les années 1990, la fréquence des sécheresses a augmenté et le lac a perdu près de 60 % de l’eau qu’il contenait auparavant.
Le lac Chilwa, au Malawi, en octobre 2018. / AMOS GUMULIRA / AFP
Il y a quatre mois encore, le petit port de Kachulu sur les rives du lac Chilwa, dans le sud du Malawi, grouillait de pêcheurs. Puis il s’est vidé en partie, comme le lac, victime de sécheresses récurrentes. Aujourd’hui, des centaines de bateaux de pêcheurs sont embourbées dans la vase asséchée, tandis que des vautours survolent le lac, à 30 km à l’est de Zomba, l’ancienne capitale du Malawi, dans une zone qui héberge 200 espèces d’oiseaux.
« Certains pêcheurs sont partis pour le lac Malawi », à une centaine de kilomètres plus au nord, « tandis que d’autres ont pris des emplois temporaires dans la culture du riz », explique un villageois, Julius Nkhata. Salé et peu profond, Chilwa, le deuxième plus grand lac du pays après le lac Malawi, est très sensible aux variations saisonnières.
La coopérative de poissons séchés a fermé
« Au cours des cent dernières années, ce lac s’est complètement asséché à plusieurs reprises en suivant des cycles tous les 20 à 25 ans, d’après les écrits dont nous disposons », explique le professeur spécialiste d’environnement Sosten Chiotha, qui étudie le lac depuis 27 ans. La dernière fois qu’il a été autant asséché, c’était en 1991. Depuis « les années 1990, la fréquence des sécheresses a augmenté » en raison du changement climatique, relève M. Chiotha, selon qui le lac a perdu 60 % de l’eau qu’il contenait auparavant.
La vie de Maru Yakobe a toujours dépendu du lac. Cette pêcheuse gagnait jusqu’à récemment quelque 15 000 kwachas (18 euros) par jour, assez pour nourrir sa famille et envoyer ses cinq enfants à l’école. Sa survie dépend aujourd’hui d’un bout de rizière. « Nous avions l’habitude de nous en sortir grâce au lac, mais maintenant il n’y a plus d’affaires à faire. Personne n’a été épargné dans le village », explique-t-elle.
La coopérative de poissons séchés par exemple a fermé. Au moins temporairement. « Il n’y a pas de poissons. Les femmes de la coopérative n’ont plus de revenus », explique Nixon Masi, responsable gouvernemental de la pêche à Chilwa. Sur les trente-huit pêcheuses membres de la coopérative Kachulu Solar Driers Women Club, vingt et une sont parties tenter leur chance ailleurs. « Certaines de ces femmes sont retombées dans la pauvreté, alors qu’on avait fait tant de progrès » ces dernières années, se désespère Nixon Masi.
La coopérative avait changé la vie de Rose Kamata : « En 2017, j’ai reçu un dividende de 400 000 kwachas [477 euros]. Mais, aujourd’hui, je suis de retour à la case départ », explique cette veuve qui a huit enfants à charge. Les spécialistes estiment que la déforestation dans la région a contribué à aggraver la situation.
La déforestation s’accélère
La zone du lac est soumise à une forte pression démographique. Quelque 1,5 million de personnes habitent dans cette zone qui est l’une des plus densément peuplées en Afrique australe, selon Sosten Chiotha. Et pour vivre, des habitants coupent des arbres afin de cultiver ou de vendre du charbon de bois.
Résultat, les bassins versants du lac, ces territoires drainés par des eaux qui contribuent à un approvisionnement régulier du lac, ont été largement endommagés. « Quand il y a des pluies, [les eaux] vont maintenant directement dans le lac. Et dans la mesure où il est peu profond, le taux d’évaporation est très élevé », constate Sosten Chiotha. « Nous avons seulement de vraies pluies en janvier et, après, nous n’avons plus beaucoup d’eau qui approvisionne le lac (…). Nous devons réaménager les bassins versants », estime James Nagoli, chercheur pour l’ONG Worldfish.
Au Malawi, le manque abyssal d’électricité
Peuplé de 18 millions d’habitants, le Malawi possède 350 mégawatts (MW) de capacité électrique. Mais sur ce chiffre déjà très faible – à titre de comparaison, la Zambie voisine compte 2 400 MW pour une population comparable –, seuls 200 MW sont opérationnels. Principale raison : le manque d’eau dans les barrages, qui constituent la première et quasi unique source d’énergie du pays (95 %).
Pour mettre un terme à cette situation, qui pousse les habitants à utiliser le charbon de bois pour cuisinier et se chauffer – accélérant ainsi la déforestation – et qui freine le développement économique du pays, le gouvernement a lancé plusieurs projets. Outre l’établissement d’interconnexions avec le Mozambique et la Zambie voisins, il prévoit notamment de construire une vingtaine de fermes solaires, ainsi qu’une centrale à charbon de 300 MW, financée par des fonds chinois et prévue pour 2020.
Mais plus le lac s’assèche, plus la déforestation s’accélère car plus les poissons se font rares, plus des villageois se lancent dans la vente de charbon de bois. Un cycle infernal. Stephen Chimenya habite l’île de Chisi sur le lac Chilwa, qui abrite 3 500 personnes. Il travaillait avant comme opérateur de bateaux taxis et gagnait « au moins 5 000 kwachas [6 euros] par jour ». Faute de clients, il s’est reconverti dans la vente de charbon de bois. « Que peut-on faire ? demande-t-il. Nous devons nourrir nos familles. »
« Même ceux qui ont essayé de cultiver n’ont pas réussi à produire à cause des conditions climatiques catastrophiques. Les gens sur l’île sont désespérés, la vie est très dure », explique le chef local Evans Chimenya. « Si les pluies n’arrivent pas bientôt », prévient-il, « des gens de l’île de Chisi vont mourir de faim. »
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