L’armée chinoise participe à la cérémonie d’ouverture de sa nouvelle base militaire à Djibouti, le 1er août 2017. / STR / AFP

Chronique. La Chine a longtemps considéré les interventions militaires occidentales comme étant dictées par des motivations néocolonialistes. C’est ainsi qu’elle a développé en 1955 les grands principes de sa diplomatie, notamment le concept de non-ingérence, qu’elle voulait aux antipodes de l’« impérialisme occidental ». Mais la donne a changé et c’est en Afrique que Pékin endosse son nouvel uniforme – tout en se défendant de nourrir des visées impérialistes.

Le président chinois est depuis 2016 « commandant en chef des armées » et sous, son contrôle, l’Armée populaire de libération (APL) s’est modernisée et les troupes chinoises qui n’avaient pas combattu hors des frontières depuis 1979 se frottent aux réalités du terrain. C’est en Afrique qu’elles font leurs armes sous la bannière de l’ONU. La Chine est désormais le deuxième contributeur au budget des opérations de maintien de la paix et le premier contributeur de troupes en Afrique avec 2 500 casques bleus déployés notamment au Soudan du Sud, au Darfour, au Mali et en République démocratique du Congo (RDC), avec pour la première fois la présence de troupes combattantes. C’est une transformation spectaculaire et l’abandon, qui ne dit pas son nom, du principe de non-ingérence.

La présence de mercenaires

Les objectifs de Pékin en Afrique sont triples. D’abord se familiariser avec un terrain inconnu. Ces opérations lui permettent d’améliorer ses capacités opérationnelles et tester de nouvelles armes, telles que des véhicules de combat d’infanterie et des fusils d’assaut de type 95-1. Des exercices sont également conduits sur sa base militaire de Djibouti, inaugurée en 2017, couvrant plusieurs terrains : déserts, zones urbaines et voies maritimes.

« C’est l’un des moyens les moins menaçants pour l’armée chinoise de s’exercer dans de véritables théâtres de conflits armés », nous explique Obert Hodzi, chercheur en relations internationales à l’université d’Helsinki et auteur de l’essai The End of China’s Non-intervention Policy in Africa » (Palgrave Macmillan, 2018) – « La fin de la politique chinoise de non-ingérence en Afrique ».

Le deuxième point concerne la protection de ses intérêts économiques et humains. Depuis 2015, une nouvelle loi autorise les militaires et policiers chinois à intervenir à l’étranger dans le cadre de missions dites « antiterroristes ». Mais le mandat est en réalité beaucoup plus large. « Auparavant, la Chine n’avait pas besoin de jouer un rôle direct, car les gouvernements africains étaient en mesure de le faire en son nom. Mais l’instabilité politique actuelle, les vols et enlèvements, les manifestations violentes contre des Chinois en Ouganda, en Zambie et en RDC, les guerres civiles ont entraîné de lourdes pertes pour les entreprises chinoises qui font pression sur leur gouvernement pour les protéger », résume Obert Hodzi.

Cette protection se traduit par exemple en Afrique du Sud par le détachement d’officiers de police chinois dans treize commissariats ou la présence de mercenaires et anciens militaires comme ceux de DeWe Security, une société privée basée à Pékin, au Soudan et en Afrique centrale. Là encore, c’est une remise en cause fondamentale des principes traditionnels de la diplomatie chinoise. Jamais jusque-là Pékin n’avait permis – officiellement du moins – la présence de mercenaires à l’étranger.

La défense de son lobby militaro-industriel

La Chine va même jusqu’à utiliser son pouvoir économique pour obliger les gouvernements à lui accorder un traitement spécial, comme ce fut le cas au Zimbabwe, ou pour défendre tel ou tel homme politique favorable à ses intérêts comme en Zambie ou encore au Zimbabwe avec la chute de Mugabe. La Chine se comporte là comme de nombreux pays occidentaux qu’elle a pourtant critiqués.

La troisième raison est la défense de son lobby militaro-industriel. L’APL détient des intérêts aussi bien dans l’hôtellerie que dans la banque ou l’immobilier. Avec elle, la Chine ne peut s’empêcher de mêler commerce et politique. Des sociétés, comme ZTE ou Huawei dans les télécommunications, sont susceptibles de devoir répondre aux demandes ou aux ordres de l’APL ou du parti si le besoin s’en fait sentir. Certaines comme l’armurier Norinco sont des émanations directes de l’armée dont une grande partie du chiffre d’affaires est généré en Afrique via, par exemple, ses filiales Zhenhua Oil en Angola et Wanbao Mining en RDC. Sans oublier le fait que Pékin est le deuxième vendeur d’armes à l’Afrique.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement chinois cherche à consolider les liens entre l’APL et les états-majors africains. Au début de l’été, le premier forum sur la sécurité et la défense Chine-Afrique organisé à Pékin par le ministère chinois de la défense a été l’occasion de définir les axes de cette coopération et notamment la question « d’assistance mutuelle pour la sécurité », des termes qui ont fait leur apparition en 2015 dans le deuxième livre blanc sur l’Afrique et qui comprend maintenant la formation de soldats et la vente d’armes.

Pékin dessine ainsi sa nouvelle diplomatie, à la fois multilatérale, via l’ONU, et bilatérale, en maintenant des relations privilégiées avec certains Etats africains ou partis politiques sensibles à ses arguments. Une diplomatie qui bouscule ainsi les puissances traditionnelles comme la France et surtout les Etats-Unis.

Washington a ainsi annoncé une augmentation du financement de l’aide au développement afin de concurrencer la Chine, et modifie les missions des 7 200 soldats de l’Africom pour se rapprocher des commandements nationaux et contrer l’influence chinoise. Si la Chine bouscule ainsi le jeu des grandes puissances en Afrique, c’est au profit pour l’instant de ses seuls intérêts.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.