Mécénat : la Cour des comptes critique l’absence de contrôle de l’Etat
Mécénat : la Cour des comptes critique l’absence de contrôle de l’Etat
Par Nicole Vulser
La loi Aillagon a permis au mécénat de trouver sa place dans les entreprises. En 2017, elles étaient 68 930 à y avoir recours contre 6 500 en 2005.
Fondation Louis Vuitton, le 2 novembre, à Paris. / STRINGER / AFP
Peut mieux faire. C’est ce qui ressort du rapport de la Cour des Comptes sur le soutien public au mécénat d’entreprise rendu public mercredi 28 novembre. La bonne nouvelle tient au fait que la loi Aillagon mise en place voici quinze ans a permis au mécénat de trouver réellement sa place au sein des entreprises hexagonales. Elles étaient 68 930 en 2017 à y avoir recours contre 6 500 en 2005. La dépense fiscale a quasiment été multipliée par dix, passant de 90 millions d’euros en 2004 à 930 millions d’euros en 2016 et 902 millions d’euros (chiffre non définitif) en 2017. Le nombre de fondations de 2 364 l’an dernier a triplé depuis 2001.
Les auteurs détaillent ce « dispositif fiscal avantageux et dynamique » doté d’un taux important de réduction d’impôt sur les sociétés, avec « un plafonnement relativement levé de l’avantage fiscal », une possibilité de report pendant cinq ans et une « définition large de l’intérêt général » qui permet à « de nombreux organismes sans but lucratif et à de nombreux secteurs d’activité de bénéficier du mécénat ». Le dispositif en faveur des trésors nationaux s’est révélé ainsi particulièrement incitatif.
Mais la manne liée à l’incitation fiscale du mécénat en France – parmi les plus généreuses sur le plan international – profite toutefois très largement à un tout petit nombre de très grosses entreprises : 24 ont ainsi représenté 44 % de cette dépense fiscale en 2016. De plus, la Cour des comptes souligne que « les dons qui la déclenchent ne sont dans les faits pratiquement pas vérifiés ».
Poursuite d’intérêts plus particuliers
Les auteurs de ce rapport de 165 pages regrettent que les évolutions du secteur « soient insuffisamment prises en compte ». A leurs yeux, « l’apport du mécénat se révèle puissant mais inégalement important selon le domaine social, culturel, éducatif, sportif ou environnemental ». Ils fustigent aussi « la gestion trop passive de cette dépense fiscale par les services de l’Etat » et se demandent si « l’intérêt général reste la caractéristique majeure de l’engagement des mécènes » face à la poursuite d’intérêts plus particuliers.
La Cour des Comptes a contrôlé trois fondations aux statuts, domaines d’activités, moyens et ressources très différents : la Fondation du patrimoine, la Fondation Agir contre l’exclusion et la Fondation Louis Vuitton. Tout à fait exceptionnelle, cette dernière a bénéficié selon la Cour des Comptes « de 518,1 millions d’euros pour les onze premiers exercices, soit 47,1 millions d’euros par an en moyenne. En ordre de grandeur, elle représenterait à elle seule environ 8,1 % de la dépense fiscale totale de l’Etat au titre du mécénat des entreprises sur la période ». Cette manne est répartie entre les différentes entreprises du groupe LVMH (19 à l’origine, 27 actuellement).
Les auteurs notent que la Fondation Louis Vuitton a appuyé son projet sur la construction d’un bâtiment de prestige confié à un architecte de renom, Frank Gehry. Initialement annoncé à 100 millions d’euros, « le coût du bâtiment s’est finalement établi à 790 millions d’euros. Il est supérieur à celui de la Philarmonie de l’Elbe à Hambourg ». La Cour note que « les budgets de production des grandes expositions sont très supérieurs à ceux des institutions culturelles publiques ». Toutefois, la puissance du groupe LVMH « lui permet d’obtenir des prêts à titre gracieux d’œuvres prestigieuses (pour La collection Chtchoukine ou Etre moderne : Le MoMA à Paris par exemple) du fait d’une politique de mécénat active au plan international et auprès d’institutions culturelles étrangères prêteuses ».
De façon plus générale, la Cour des Comptes déplore que « la distinction entre mécénat et responsabilité sociétale des entreprises » tende à « s’estomper et que la recherche de fortes retombées médiatiques amène certaines actions de mécénat à se rapprocher d’opérations de parrainage, au risque d’une confusion certaine ».
« Redéfinir le cadre et les modalités de soutien »
Le rapport considère que l’analyse du mécénat, son suivi et le pilotage par l’Etat restent « trop lacunaires ». La prévision annuelle des dépenses est « peu fiable » et « aucune évaluation de l’efficience des mesures fiscales en matière de mécénat n’a été réalisée récemment ». Le rapport appelle donc les pouvoirs publics à « redéfinir le cadre et les modalités de soutien » au mécénat.
Il propose « plusieurs scénarios d’ajustement du dispositif fiscal », dans un contexte marqué par une diminution progressive du taux de l’impôt des sociétés. Un abaissement du taux actuel de la réduction d’impôt (60 %) limiterait la dépense. Une autre solution consisterait « à appliquer des taux variables selon le type d’organisme bénéficiaire ». L’instauration d’un plafonnement des dons en valeurs à 10 000 euros – alternatif à la possibilité de défiscaliser 0,5 % du chiffre d’affaires – a d’ailleurs été adopté dans le projet de loi de finances pour 2019, afin de donner un coup de pouce aux TPE et PME.
Les auteurs souhaitent « un encadrement législatif des contreparties aux dons » et voudraient voir précisées « les règles de mise en œuvre du mécénat de compétence ». Le rapport formule sept recommandations visant à encadrer et surtout contrôler davantage les entreprises mécènes.