Emmanuel Macron, avenue Kléber à Paris, le 2 décembre. / Julien Muguet pour "Le Monde"

Editorial du « Monde ». Les violences commises à Paris, et dans d’autres villes de France, samedi 1er décembre, sont, à tous les sens du terme, inqualifiables. Les destructions, les pillages et les coups portés aux personnes, notamment à celles chargées du maintien de l’ordre, doivent être condamnés sans réserve, parce qu’ils sont sans excuse. Les mots manquent également pour donner une signification ou une direction au déferlement de rage et de haine qui s’est déversé, des heures durant, sur les quartiers huppés de la capitale.

A la radicalisation indéniable d’une partie des « gilets jaunes », qui empêche de distinguer clairement les casseurs des manifestants, se sont visiblement agrégés, entre autres groupuscules, des éléments de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Cette journée insurrectionnelle, dont la virulence est inédite en France depuis 1968, échappe ainsi tout autant à la description univoque qu’à la récupération politique des leaders des oppositions, qui ont tous peiné à s’emparer d’un objet aussi insaisissable.

De fait, un seul dénominateur commun ressort de ces désordres : leur cible, le président de la République. En une année et demie, le quinquennat d’Emmanuel Macron aura atteint son point de bascule, son élan initial rattrapé par deux mouvements différents qui l’entravent désormais.

Une instabilité permanente

D’abord une crise aux racines profondes, dont il n’est que très partiellement comptable : une remise en cause de trente années du système et de la représentation politique, à laquelle s’ajoute une impuissance de dix ans à réellement répondre aux conséquences de la crise de 2008. Chez les « gilets jaunes », composés de représentants des classes moyennes et populaires vivant principalement en milieu rural et dans les villes moyennes, cette faillite des gouvernements successifs a laissé prospérer la colère sur le plus puissant des ferments, le sentiment d’injustice, à la fois territorial, fiscal et social.

Ensuite, l’instantanéité des échanges sur les réseaux sociaux : c’est ce temps court, sur Facebook principalement, qui a construit la mobilisation des « gilets jaunes » dans une forme d’engagement complètement inédite à cette échelle. Mais il est également à l’origine de ce mouvement brownien qui crée une instabilité permanente chez les protestataires, où les revendications s’accumulent et finissent par s’annihiler à force d’être contradictoires, où les porte-parole sont délégitimés à la seconde où ils apparaissent, où la discussion permanente ne permet ni de s’entendre entre soi ni d’écouter ce que pourraient proposer les gouvernants.

Un handicap majeur

C’est encore plus compliqué face à un pouvoir exécutif qui n’arrive pas à s’extraire des multiples disruptions qu’il avait théorisées pour construire son nouveau monde. De fait, à la lumière de la crise actuelle, tous les principes qui avaient fait le succès de la campagne du candidat Macron se sont retournés pour faire apparaître la fragilité du président. L’opération commando d’alors n’est plus qu’une solitude accompagnée par une poignée de fidèles placés aux postes-clés. La page blanche sur laquelle devaient s’écrire les réformes est devenue une scène désertée que le parti présidentiel ne parvient pas à occuper.

La remise en cause des corps intermédiaires, systématiquement contournés depuis le début du quinquennat, est un handicap majeur, alors qu’ils seraient si cruciaux pour canaliser un conflit social de ce type. La modernité affichée s’est inversée en une incapacité à comprendre les nouvelles formes d’expression et de mobilisation d’un mouvement inédit. La posture régalienne s’est muée en une inaptitude de plus en plus visible à obtenir des résultats en matière de maintien de l’ordre. Le courage réformateur mis en avant se heurte à l’image de « président des riches » accolée en raison des premières décisions fiscales, notamment sur l’ISF.

Un mélange continu d’arrogance et de provocation verbale a achevé de refermer le piège actuel. Il sera difficile d’en sortir sans amender en profondeur un mode de gouvernance qui n’a pour l’heure en rien interrompu le cycle délétère des détestations successives des présidents en place. Cette réforme-là est la plus exigeante de toutes : elle commence par soi-même pour parvenir enfin à convaincre les autres.