Dans les sables de Nbeiket Laouach, les soldats mauritaniens n’attendent pas le G5 Sahel pour agir
Dans les sables de Nbeiket Laouach, les soldats mauritaniens n’attendent pas le G5 Sahel pour agir
Par Christophe Châtelot (Nbeiket Laouach, envoyé spécial)
La Mauritanie face au risque sécuritaire (2/4). Le pays fait preuve de prudence avant de s’engager totalement dans une force dont la montée en puissance accumule les retards.
Un avant-poste de la force conjointe du G5 Sahel situé dans le sud-est de la Mauritanie, le long de la frontière avec le Mali, le 22 novembre 2018. / THOMAS SAMSON / AFP
Au poste de commandement du fuseau ouest de la force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), situé à Nbeiket Laouach, au sud-est de la Mauritanie, « seules les toilettes sont construites en dur », sourit un officier mauritanien. Le reste est abrité par des tentes. Il ne faudrait pourtant pas en conclure que le « Mauribat » – le bataillon mauritanien en jargon militaire – mis par Nouakchott à la disposition de la force conjointe – aux côtés du Niger, du Burkina Faso, du Tchad et du Mali – est à la rue.
Avec ses tranchées de protection creusées dans une terre sablonneuse, ses pick-up armés de mitrailleuses ou de lance-roquettes multiples positionnés, le PC ressemble à celui d’une armée en campagne déployée à quelques encablures de la frontière avec le Mali, épicentre de la déstabilisation au Sahel. « Les soldats mauritaniens sont sans doute parmi les mieux entraînés et équipés du groupe, avec les Tchadiens », souligne un observateur français. Mais la Mauritanie semble faire preuve d’attentisme avant de s’engager totalement dans une force régionale dont la montée en puissance accumule les retards. Un pied dedans – le nouveau chef d’état-major de la FC-G5S est le général mauritanien Hanena Ould Sidi –, un pied dehors.
Promesses non tenues
La pleine opérationnalisation de la FC-G5S, qui devait initialement avoir lieu à l’automne 2017, n’a cessé d’être repoussée. « Aucun nouveau calendrier n’a été défini », regrettait début novembre le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, qui invitait les cinq Etats membres à clarifier le concept d’opération de la force pour « témoigner d’un objectif commun (…), mais aussi stimuler la confiance des donateurs ».
Les membres du G5 regrettent, quant à eux, les promesses non tenues. « Nous avons demandé 420 millions d’euros pour pouvoir nous équiper et démarrer, ainsi que 100 millions d’euros par an pour arriver à fonctionner. Et jusqu’à présent, nous n’avons pas obtenu 40 % [des sommes demandées] », soulignait, le 20 octobre, le président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz.
La frustration est d’autant plus importante que le chef de l’Etat et ancien général dresse un bilan négatif sans concession de la mission des Nations unies au Mali (Minusma), forte de 13 000 hommes et d’un budget annuel de 1 milliard de dollars (880 millions d’euros) : « Nous ne comprenons pas que toute la communauté internationale continue à accepter qu’on engage des milliards de dollars du côté de la Minusma, sans résultat, et que les cinq pays du G5, qui sont prêts à engager leurs forces pour combattre et sécuriser la zone, n’arrivent pas à trouver un dixième de ce qui va annuellement à la Minusma. »
Contre les groupes armés et le trafic transfrontalier
Réellement mise sur pied en février 2017 pour lutter contre les groupes armés et le trafic transfrontalier qui minent la région, la FC-G5S est organisée sur trois fuseaux : Tchad à l’est, Mali-Burkina Faso-Niger au centre et Mauritanie-Mali à l’ouest. A ce jour, quelques opérations conjointes, longuement programmées à l’avance et de portées limitées, ont été menées sur des bandes de 50 kilomètres situées de part et d’autre des frontières communes qui délimitent actuellement la zone d’activité du FC-G5S. Des discussions sont en cours pour doubler la largeur de ces bandes, à l’intérieur desquelles une armée peut exercer son droit de poursuite d’assaillants sur le sol de son voisin.
Au PC sous tentes de Nbeiket Laouach, l’avenir de la force conjointe ne semble pas être au centre des préoccupations. Le « Mauribat » – 480 hommes actuellement, 600 hommes à terme – semble davantage fonctionner comme un élément de l’armée mauritanienne destiné à participer à la sécurisation de sa frontière que comme un élément intégré dans une coalition régionale. La logique du colonel Sidi Ahmed est simple : « Tant que le QG du G5 [basé à Bamako] ne prend pas en charge mes problèmes de logistique, il n’a pas à me donner d’ordre. J’en réfère à mon état-major à Nouakchott. Et nous n’attendons pas les opérations du G5 pour agir. »
Avec l’aide du projet d’appui à la sécurité et au développement en Mauritanie, financé par l’Union européenne, la base de Nbeiket Lalouach devrait ainsi prochainement bénéficier d’un forage d’eau, d’une piste d’atterrissage sommaire mais pouvant accueillir des avions de transport C-130, du matériel de communication et d’un hôpital mobile. Le PC et le casernement devraient être construits d’ici à deux ans. « On ne gagne pas des batailles avec des PC », avait répondu le président Abdelaziz, critiqué pour son manque d’empressement à ce sujet.
Pas d’attaques et d’attentats depuis 2011
Lui préfère un autre bilan. Depuis 2011, la Mauritanie n’a pas connu d’attaques, ni d’attentats, servie par la profondeur stratégique de son territoire désertique très peu peuplé, plus facile à surveiller grâce à une politique volontariste. « Nous avons fait beaucoup d’efforts pour sécuriser le pays, en réorganisant nos forces armées, en créant des unités spéciales capables de se mouvoir sur l’ensemble du territoire, explique le président Abdelaziz. Nous avons acheté des drones [chinois] qui vont nous permettre d’améliorer la surveillance du territoire. Nous avons créé des zones militaires interdites d’accès dans le nord du pays dans lesquelles les terroristes et les trafiquants de drogue ou de cigarettes pouvaient se déplacer librement. » Son voisin malien ne peut en dire autant, aspiré par un ouragan de violences qui a d’abord balayé le nord avant d’atteindre le centre et l’est.
Depuis les abords du PC du « Mauribat », on ne peut qu’imaginer, au-delà d’une étendue désertique parsemée de buissons épineux, la frontière malienne. Rien pour matérialiser cette ligne droite tirée au cordeau sur les cartes. Un tir de semonce retentit. La moto, au loin, qui soulevait un nuage de poussière en direction des positions mauritaniennes, fait demi-tour. « Rien de sérieux. Sans doute un jeune qui ne savait pas où il était », rassure le colonel Sidi Ahmed.
A quelques dizaines de kilomètres de là, plus au sud, la base malienne de Nampala, elle, a été attaquée trois fois ces derniers mois. Sur une carte dépliée sur le sol de sa tente, le colonel Sidi Ahmed énumère les menaces : « AQMI [Al-Qaida au Maghreb islamique] est dans les environs de Tombouctou, la katiba du Macina est dans la forêt de Wagadou [à 70 km de la Mauritanie]. Nous devons rester sur nos gardes. »
La Mauritanie face au risque sécuritaire : sommaire de notre série
Depuis 2011, la Mauritanie est épargnée par les attaques terroristes alors que les violences de groupes armés continuent d’ensanglanter le Mali voisin, le Niger et le Burkina Faso. Cette stabilité découle notamment de la politique volontariste menée par le président – et ex-général – Mohamed Ould Abdelaziz, au pouvoir depuis 2008, pour restructurer et rééquiper les forces de sécurité mauritaniennes. Cet équilibre est fragile, notamment le long de la frontière malienne. C’est là où les autorités, assistées par un programme financé par l’Union européenne, entendent réduire la menace grâce, notamment, à un projet pilote conduit à la fois au profit des forces armées que de la population vivant dans cette zone enclavée.