« Paul Grüninger, le Juste » : un flic exemplaire
« Paul Grüninger, le Juste » : un flic exemplaire
Par Alain Constant
Un film hommage à un officier de police suisse, dont l’action a permis de sauver des milliers de juifs pendant la guerre.
En Suisse, on aime parfois prendre son temps. Il aura fallu attendre quarante-deux ans après le décès de Paul Grüninger (1891-1972) pour que la police cantonale de Saint-Gall, ville située près de la frontière autrichienne, fasse poser, en août 2014, une plaque commémorative à l’entrée de son siège en l’honneur de l’ancien commandant de la police saint-galloise.
Son fait d’armes ? Paul Grüninger a permis à environ 3 600 juifs fuyant la barbarie nazie de pénétrer et de rester sur le territoire suisse, en dépit de l’hostilité d’une partie des autorités helvétiques de l’époque et de la fermeture effective des frontières du pays le 18 août 1938. Condamné pour abus de pouvoir et faux en écritures en 1940, ce fonctionnaire, qui mourut dans la pauvreté, ne fut réhabilité politiquement dans son pays qu’en 1996 alors que, peu avant sa mort, il avait reçu le titre de Juste parmi les nations.
Un tel personnage, si peu connu hors de la Confédération, méritait de voir son action transposée à l’écran. Le réalisateur Alain Gsponer s’en est chargé, et le résultat final de cette production helvético-franco-allemande vaut le détour. L’action débute en mai 1938, avant que le gouvernement fédéral ne décide de fermer ses frontières et alors que plus de 10 000 juifs fuyant les persécutions sont sur le territoire suisse. Dans les environs de Saint-Gall, ils arrivent en masse en provenance d’Autriche, partie intégrante du Reich depuis mars 1938.
Des scènes déchirantes
Au fil des minutes, les personnages, bien campés, dévoilent leur caractère. Paul Grüninger, officier de police exemplaire, père de famille sans histoire. Mais aussi l’inquiétant Robert Frei, jeune fonctionnaire zélé qui, s’il se défend de tout antisémitisme, tient à faire appliquer la loi, qu’elles qu’en soient les conséquences pour les réfugiés. Ou encore Sidney Dreifuss, responsable du Bureau d’aide aux réfugiés israélites et proche de Grüninger.
L’officier de Police Paul Grüninger (Stefan Kurt). / Daniel Ammann / SRF
Aux postes-frontières, des scènes déchirantes ont lieu. Mais l’une des scènes les plus fortes de ce téléfilm a lieu à huis clos, dans la salle de réunion du Conseil fédéral, à Berne. Autour de la table, les quelques partisans de l’accueil des réfugiés se heurtent à l’hostilité de ceux qui veulent interdire le territoire suisse à ces juifs. « Des réfugiés politiques ? Cette expression me donne des boutons ! », dit l’un. « Ils sont pires que des rats ! », déclare le représentant du canton de Thurgovie. « C’est avec l’enjuivement que les problèmes ont commencé en Allemagne ! », assène le président Rothmund.
Face à ces attitudes, Grüninger est effondré. Et va décider de braver la loi. Durant des mois, il fera tout son possible pour fournir de faux papiers aux exilés. Il facilite également leur séjour dans un camp de transit, avant que les réfugiés puissent repartir vers d’autres pays.
Démasqué en 1939, Paul Grüninger est révoqué sans préavis, puis condamné l’année suivante par le tribunal de Saint-Gall. Selon les estimations, 30 000 personnes ont été refoulées à la frontière suisse jusqu’en 1945.
Paul Grüninger, le Juste, d’Alain Gsponer. Avec Stefan Kurt, Max Simonischek, Anatole Taubman, Robert Hunger (Suisse-France-Allemagne, 2014, 89 min). www.arte.tv