Le PDG de Siemens, Joe Kaeser, et celui d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, à Paris, en septembre 2017. / THOMAS SAMSON / AFP

Les « remèdes » qu’ils proposent suffiront-ils à convaincre Bruxelles de donner son consentement à leur mariage ? Le groupe ferroviaire français Alstom et son partenaire allemand Siemens ont annoncé, mercredi 12 décembre, le dépôt, auprès de la Commission européenne, d’une proposition de mesures compensatoires qu’ils jugent « appropriée » et « adéquate » pour obtenir le feu vert de l’institution communautaire à leur fusion. La Commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, a jusqu’au 19 février pour analyser en détail cette proposition et prendre une décision lourde de conséquences pour l’avenir de la construction ferroviaire.

Dans leur communiqué, les entreprises préviennent néanmoins qu’il « n’y a pas de certitude » que cela soit « suffisant pour répondre aux préoccupations de la Commission ». Leur proposition porte sur la cession d’une partie des activités de signalisation, où elles auraient une position écrasante dans certains pays, mais aussi sur la production de matériel roulant. Soit environ 4 % du chiffre d’affaires de l’entité fusionnée, dont l’activité atteindra 16 milliards d’euros dans une soixantaine de pays. Présentés aux clients (opérateurs comme la SNCF, gestionnaires d’infrastructures...) et aux concurrents d’Alstom et de Siemens, ces remèdes pourraient être jugés insuffisants par Mme Vestager.

Bâti peu ou prou sur le modèle d’Airbus dans l’aéronautique, ce « Railbus » annoncé en septembre 2017 – et soutenu par le président Emmanuel Macron comme par la chancelière Angela Merkel – a-t-il du sens ? Pour les PDG d’Alstom et de Siemens, Henri Poupart-Lafarge et Joe Kaeser, l’objectif est d’abord de créer un groupe capable de concurrencer le géant chinois CRRC. Né en 2015 de la fusion de deux grands constructeurs chinois, il réalise un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros et se montre de plus en plus ambitieux sur les marchés internationaux.

Carnets de commandes à des niveaux historiquement hauts

Margrethe Vestager ne voit pas les choses ainsi. En juillet, elle a ouvert une enquête approfondie, avant d’exprimer aux deux entreprises, fin octobre, ses craintes que cette concentration « ne réduise la concurrence pour la fourniture de plusieurs types de trains et de systèmes de signalisation ». Siemens développe son Velaro de dernière génération et Alstom son Avelia Horizon, le « TGV du futur ».

La commissaire à la concurrence juge aussi que CRRC ne sera pas un concurrent sur le Vieux Continent avant de nombreuses années. En revanche, le tandem Alstom-Siemens aura une position dominante en Europe, qui risque de réduire la concurrence, de faire grimper les prix et de freiner l’innovation. Les constructeurs ont en effet face à eux de très nombreux clients pour leurs trains, leurs métros et leurs tramways, et autant de demandes de signalisation adaptée à ces matériels. Un émiettement qui réduit le « pouvoir d’acheteur » de ces clients.

Les doutes d’Alstom et Siemens sur l’acceptation de leur proposition par Bruxelles montrent qu’ils ont intégré l’hypothèse d’un échec de leur fusion. Pour l’heure, un tel scénario n’aurait rien de dramatique. En effet, le bénéfice net d’Alstom sur l’exercice décalé 2017-2018 a atteint 475 millions (+ 64 %) et 563 millions au premier semestre (avril-septembre). Les résultats de Siemens Mobility sont également très solides. Et leurs carnets de commandes sont à des niveaux historiquement hauts. A plus long terme, il n’est sûr pas que deux poids moyens puissent résister à la concurrence du poids lourd chinois.