« Acte V » des « gilets jaunes » : à Paris, « on se doutait qu’il y aurait moins de monde »
« Acte V » des « gilets jaunes » : à Paris, « on se doutait qu’il y aurait moins de monde »
Par Aline Leclerc
Le début de la cinquième journée de mobilisation a été marqué par un net recul du nombre de manifestants et de tensions moins importantes.
Des « gilets jaunes » lors de la manifestation à Paris, le 15 décembre. / Laurence Geai pour Le Monde
Le contraste est spectaculaire. A 9 heures ce matin, quelques centaines de « gilets jaunes » seulement étaient réunis en haut des Champs-Elysées, aux abords de la place de l’Etoile. C’est pourtant le lieu de rassemblement emblématique de la mobilisation, chaque samedi, depuis le 17 novembre. La semaine passée, le 8 décembre, à la même heure, ils étaient déjà quelques milliers à former une marée jaune en haut de l’avenue. La semaine d’avant, le 1er décembre, c’est dès le matin que l’Arc de Triomphe avait été pris d’assaut.
Pour la première fois depuis le début du mouvement il y a un mois, on constatait samedi 15 décembre un réel et spectaculaire recul de la mobilisation sur la grande avenue parisienne. En nombre de manifestants (ils étaient moins de 3 000 selon le ministère de l’intérieur, 33 000 sur toute la France), comme en intensité.
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Est-ce parce que certains « gilets jaunes » ont souhaité rester dans leur ville plutôt qu’aller à Paris ? Est-ce qu’une partie d’entre eux a été convaincue par les annonces d’Emmanuel Macron lundi soir – hausse du smic de 100 euros, annulation de la hausse de la CSG pour les retraites de moins de 2 000 euros, retour des heures supplémentaires défiscalisées ? Ceux-là n’étaient évidemment pas là pour le dire. D’autres dissuadés par les appels de certains politiques à une trêve après l’attentat à Strasbourg ? Ou est-ce encore le froid glacial ? Il faisait 0 degré ce matin à Paris. Ou encore la peur des violences ? Les images des saccages des deux samedis précédents ont pu marquer les esprits, comme celle des blessés par des tirs de Flash-ball notamment, qui ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux.
Déterminés à continuer la lutte, les « gilets jaunes » qui avaient fait le déplacement ne voulaient pas croire à une baisse de la mobilisation. « Les médias désinforment ! C’est beaucoup trop tôt pour dire ça, les gens vont arriver, s’énervait ainsi Claude, 60 ans, avant 10 heures. Mais il y a aussi eu beaucoup de blessés la semaine dernière, donc les gens ont peur pour leur vie ! » Soixante-et-onze personnes ont été blessées rien qu’à Paris le 8 décembre.
« Y a eu plein d’arrestations préventives ! »
La tête encore bandée, Charles, 31 ans, n’a pas été dissuadé par le tir qui lui a occasionné 10 points de suture à la tête alors qu’il manifestait, lui, à Tourville-la-Rivière, en Seine-Maritime. Pour lui, ce sont des barrages policiers en amont de Paris qui expliquait le petit nombre de manifestants. « On a été arrêté au péage sur l’A13. Ils ont fouillé la voiture et confisqué nos masques et nos lunettes contre les lacrymogènes. On a pu repartir mais d’autres qui avaient plus d’équipements ont été interpellés ». Deux jeunes hommes venus de Lisieux (Calvados) témoignaient également d’une fouille de leur véhicule, jusque sous le capot, à leur arrivée à Paris, samedi matin. D’autres encore, évoquaient fouilles et arrestations gare de Lyon ou gare Saint-Lazare.
« Y’a eu plein d’arrestations préventives !, avançait encore Franck, 37 ans, cariste du Val d’Oise. Comment ça se fait qu’on fasse des arrestations préventives de “gilet jaune” et pas de fiché S ? », pestait-il, allusion au fait que Cherif Chekatt, auteur de l’attentat de Strasbourg, était surveillé par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). A 13 heures, la préfecture de police de Paris annonçait 92 interpellations et 53 gardes à vue. A titre de comparaison, cependant, à la même heure, la semaine passée, on comptait déjà 583 interpellations et 423 garde à vue.
D’autres manifestants espéraient que le nombre de « gilets jaunes » présents à Paris soit le même que les samedis précédents, mais qu’ils soient seulement davantage dispersés dans la capitale. Vers 10 heures, sur les Champs-Elysées, au mégaphone, un appel a ainsi été lancé pour rejoindre un rassemblement à Opéra, à quelque deux kilomètres de là.
Le cortège s’est mis en marche, mais il n’a pas été très loin, rapidement canalisé sur le trottoir par les forces de l’ordre, puis immobilisé. Les manifestants sont ainsi restés encerclés une heure, avant que les gendarmes mobiles libèrent le cordon, les relâchant sur les Champs-Elysées après avoir utilisé sporadiquement, vers 11 heures, leur gazeuse manuelle à lacrymogène, sans envoyer de grenades. Les journalistes du Monde dépêchés place de l’Opéra et gare Saint-Lazare y ont constaté quelques centaines de manifestants, loin des milliers espérés par les « gilets jaunes » restés sur les Champs-Elysées.
D’autres évoquaient enfin le fait que des cars entiers de manifestants auraient été immobilisés par les forces de l’ordre avant leur arrivée à Paris. Le Monde n’avait en milieu de journée pas eu confirmation de ces allégations.
« Il y a la lassitude, et la peur aussi »
Vers midi, les conversations des « gilets jaunes » sur les Champs-Elysées révélaient moins d’optimisme. « C’est dommage que les gens ne continuent pas… déplorait Michel, 68 ans, retraité de Colombes (Hauts-de-Seine). Il y a la lassitude, et la peur aussi. Mais nous on est toujours là ! » Venu avec des amis depuis Douai, Jean-Luc, technicien dans le ferroviaire de 29 ans, faisait la même analyse : « On se doutait qu’il y aurait moins de monde. Ça fait cinq semaines, les gens sont fatigués. Certains sont satisfaits des annonces, et d’autres ont pris peur… Nous on milite toujours pour une égale répartition des richesses ! Y’en a marre des cadeaux aux riches, sans contrepartie. »
Il y avait bien des points communs dans les revendications de ceux décidés, comme Michel et Jean-Luc, à continuer le combat. D’abord, une haine commune d’Emmanuel Macron, même si peu semblaient croire encore à cette « démission » qu’ils appellent de leurs vœux depuis le premier jour. Ensuite, beaucoup déploraient l’absence, dans les annonces de lundi, de mesures remettant en cause les privilèges des politiques. « J’aurai voulu qu’à eux aussi on leur demande des sacrifices, expliquait Patoche, menuisier de 25 ans venu de Savoie, résumant l’état d’esprit général. Il y a trop de postes inutiles au sein du gouvernement, et ils sont trop payés ! Si on baisse leur salaire, ça fera une manne pour donner au peuple plus de pouvoir d’achat ! »
« R.I.C » pour référendum d’initiative citoyenne
Enfin, nombre de manifestants arboraient des pancartes demandant la mise en place du « R.I.C », un référendum d’initiative citoyenne, pour que les citoyens puissent être consultés sur les grandes orientations économiques et sociales, à l’image de ce qui existe en Suisse. « C’est un mécanisme simple. Il faut faire confiance au peuple, disait par exemple Julie, la quarantaine, qui se mobilise en semaine à Gisors, en Normandie. Ce n’est pas normal que dans un pays comme la France, si libre et si riche en pensées, le peuple n’ait pas les moyens de s’exprimer ».
Constatant la baisse de mobilisation, Véronique, fonctionnaire de 54 ans, lançait : « Que Macron ne se trompe pas : on sera là aux prochaines élections européennes, ce sera ça le vrai test ! » Pour qui votera-t-elle ? « Pas pour les extrêmes, ça me bouffe les tripes rien que de penser qu’ils puissent gagner… Peut-être pour une liste “gilets jaunes” ? Ce serait le mieux ! »
En début d’après-midi, on a observé quelques face-à-face tendus entre « gilets jaunes » et forces de l’ordre, avant l’usage de grenades lacrymogènes sur les Champs-Elysées – sans commune mesure avec les samedis précédents.
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