Mali : « On ne peut pas abandonner les enfants malades à la sélection naturelle »
Mali : « On ne peut pas abandonner les enfants malades à la sélection naturelle »
Par Tancrède Chambraud
Trois mois après la première opération à cœur ouvert à Bamako, le cardiologue Mamadou Bocary Diarra appelle les autorités à investir davantage dans la santé.
Le cardiologue malien Mamadou Bocary Diarra sur TV5 Monde, le 16 décembre 2018. / TV5 Monde
Trouver des sous… Bamako a son hôpital pour enfants souffrant de maladies cardiaques, le problème reste de trouver l’argent pour le faire fonctionner. C’est le message qu’a voulu faire passer son directeur, Mamadou Bocary Diarra, dimanche 16 décembre, dans l’émission « Internationales » diffusée sur TV5 Monde en partenariat avec Le Monde et Radio France internationale.
Le 10 septembre, le centre hospitalier mère-enfant Le Luxembourg, à Bamako, accueillait une première au Mali : une opération à cœur ouvert sur une petite fille de 6 ans atteinte d’une malformation cardiaque. Trois mois plus tard, ils sont plus de 58 enfants à avoir bénéficié des deux nouveaux blocs opératoires dont la construction, financée par l’ONG française La Chaîne de l’espoir, apporte une lueur d’espoir dans ce pays déchiré par la guerre depuis 2012. Reste à trouver un mode de financement pérenne une fois que les bienfaiteurs seront repartis.
Quinze opérations par mois
Mamadou Bocary Diarra, 60 ans, n’en peut plus de devoir choisir, parmi les jeunes enfants sur sa liste d’attente, qui bénéficiera d’une opération à cœur ouvert. Avant la construction du centre, les enfants malades les plus chanceux pouvaient être opérés en France. Ils ont été environ 600 depuis les années 2000. « Ça faisait à peu près une quarantaine d’enfants par an au maximum, ce qui était nettement insuffisant », observe le médecin sur le plateau de TV5 Monde.
En moins de quatre mois, l’équipe chirurgicale de l’hôpital Le Luxembourg a dépassé cette moyenne annuelle : 58 opérations ont été réalisées depuis septembre, soit quinze par mois. Mais ce n’est pas assez pour le chirurgien malien : « Nous comptons doubler ce rythme. Nous avons un volume d’attente considérable. Quand nous avons démarré la première opération, le registre d’attente était à plus de 3 000 enfants. Et ça, c’est ceux qui ont pu venir à Bamako. » La capitale rassemble 60 % des soins, pour seulement 12 % de la population.
A l’hôpital Le Luxembourg, chirurgiens maliens, français et italiens se relaient dans les blocs opératoires pour traiter les malformations cardiaques des enfants. « Il faudra environ un an, un an et demi, avant que les chirurgiens maliens puissent opérer seuls », estime Mamadou Bocary Diarra. Aujourd’hui, ils ne sont que trois Maliens à réaliser ce genre d’opération, alors qu’« il faudrait huit chirurgiens pour que les deux blocs puissent fonctionner de façon permanente ».
Une question de « volonté politique »
C’est vers le pouvoir politique malien que Mamadou Bocary Diarra s’est d’abord tourné. Alors que le Mali reste un pays où l’accès aux soins est difficile, il en appelle à une implication financière plus importante : « Ce n’est pas au-dessus des moyens de nos pays. Il s’agit d’une volonté politique qui doit se manifester. Chaque pays choisit ses vivants et ses morts en fonction de l’orientation que l’on donne au budget. »
Quelques mois après avoir rencontré les autorités, le cardiologue espère encore : « J’attends beaucoup de la part du pouvoir public, parce que nous avons un ministre qui est chercheur. Je suis certain qu’il a les outils nécessaires pour mettre en œuvre une politique digne de ce nom. J’en attends aussi de la part du privé, des ONG locales, maliennes ou africaines, pour que nous nous donnions la main. La Chaîne de l’espoir nous a mis le pied à l’étrier. Nous avions besoin de cela pour démarrer, mais cela ne peut pas être une fin en soi. Il est temps de s’organiser à l’intérieur de nos pays pour nous prendre en charge nous-mêmes. C’est fondamental. »
Celui qui plaide pour un réel développement des infrastructures nationales souhaite que les acteurs de son pays cessent en premier lieu de rejeter la faute sur le passé : « Il est hors de question de passer toute notre vie à pleurnicher sur une colonisation qui n’est plus d’actualité. Il n’y a pas un seul peuple qui n’ait pas été colonisé. Beaucoup de peuples se sont relevés d’eux-mêmes. » Il en va de vies… « Il s’agit de la santé de nos enfants. Vous ne pouvez pas laisser les enfants au sort d’une sélection naturelle, dénonce-t-il. C’est immoral. »