La statue de George Washington dans la rotonde du Capitol, le Congrès américain, centre du pouvoir législatif, à Washington, le 20 décembre 2018. / J. Scott Applewhite / AP

Donald Trump devait célébrer un rare moment d’unité, vendredi 21 décembre, à quelques heures d’un possible blocage (shutdown) d’une partie de l’Etat fédéral. Le président des Etats-Unis avait en effet prévu de signer une réforme de la politique pénale adoptée définitivement la veille en présence, une fois n’est pas coutume, d’élus démocrates comme républicains. En souffrance depuis des années, ce texte vise à corriger des mesures radicales héritées des années 1980 et 1990 et considérées désormais comme des aberrations judiciaires.

Ce consensus a déjà conduit plusieurs Etats, y compris réputés conservateurs comme le Texas, à remettre en cause l’incarcération de masse qui caractérise la politique pénale américaine. Avec 2 millions de détenus, soit 716 personnes pour 100 000 habitants (870 pour les Afro-Américains), le taux d’incarcération aux Etats-Unis compte parmi les plus élevés. Cette remise en question devait encore être actée par un texte au niveau fédéral.

Donald Trump a pu se réjouir à juste titre de cette adoption définitive dès qu’a été connu le résultat favorable du vote de la Chambre des représentants, après celui du Sénat, deux jours plus tôt. Il a pesé de tout son poids pour que le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, se décide à inscrire le texte à l’ordre du jour. Il ne figurait pourtant pas au programme de la présidentielle de 2016, dans lequel il promettait, classiquement pour un républicain, de se montrer « dur » contre le crime.

Lorsque le sénateur du Kentucky a argué d’un ordre du jour déjà très chargé, le président l’a publiquement pris à partie sur Twitter :

« Espérons que Mitch McConnell demandera un vote sur la réforme de la justice pénale. Elle est extrêmement populaire et bénéficie d’un fort soutien bipartisan. Cela aidera également beaucoup de gens, fera économiser de l’argent aux contribuables et assurera la sécurité de nos collectivités. Vas-y Mitch ! »

Révision de la procédure des peines planchers

Le texte, promulgué vendredi, met fin à la loi dite « des trois coups » qui permet de prononcer des peines de prison à vie pour des personnes commettant un troisième délit ou crime, quelle qu’en soit la gravité. Il révise la procédure des peines planchers obligatoires qui a contribué à l’engorgement des prisons et permis des condamnations à perpétuité ou à des peines de plusieurs dizaines d’années d’incarcération pour des faits sans violence. Il prévoit en outre que la peine automatique pour des crimes ou ­des trafics de drogue avec violence sera réduite de vingt à quinze ans. Et une plus grande marge de manœuvre sera donnée aux juges, notamment pour les délits mineurs liés à la drogue.

Une loi de 2010, qui prévoyait déjà de mettre fin à la disparité des peines entre les trafiquants de crack (plutôt afro-américains, condamnés à des peines plus longues) et de cocaïne (plutôt blancs et moins sévèrement punis), deviendra rétroactive. Enfin, le texte prévoit des fonds pour amé­liorer les conditions de détention des prisonniers ainsi qu’une meilleure réinsertion afin de limiter les récidives.

Le ministre de la justice limogé en novembre par Donald Trump, Jeff Sessions, avait longtemps ferraillé contre l’un des promoteurs opiniâtres du texte, le conseiller et gendre du président, Jared Kushner, pour tenter de la bloquer. Cet ancien sénateur républicain et ancien procureur de l’Alabama incarnait la résistance à cette réforme par fidélité idéologique au parti « de la loi et de l’ordre », comme le Grand Old Party a souvent aimé se définir.

« Pouvoir rédempteur de la réinsertion »

Le Parti démocrate a toujours milité en faveur de cette réforme, même s’il l’a jugée timide comme une bonne partie des organisations de défense des droits de l’homme. Mais le travail de conviction mené par une coalition hétéroclite rassemblant les milliardaires libertariens Charles et David Koch, la star de téléréalité Kim Kardashian et l’animateur de CNN Van Jones a buté sur les plus conservateurs du Parti républicain, conduit au Sénat par le jeune sénateur de l’Arkansas Tom Cotton. Dans les deux assemblées, les seuls et rares votes négatifs (12 contre 87 au Sénat, et 36 contre 358 à la Chambre) sont venus de ce camp.

« Je me considère comme un membre du parti de la loi et de l’ordre, mais je suis également un contribuable sourcilleux et je crois dans le pouvoir rédempteur de la réinsertion », a expliqué pendant les débats le sénateur de l’Iowa Chuck Grassley, 85 ans, président de la Commission des affaires juridiques et symbole de l’évolution républicaine sur ces questions pénales. Une évolution justifiée pour certains au nom de leurs convictions religieuses, et pour d’autres par leur aversion pour les dépenses fédérales.

« Nous sommes au cœur d’une crise d’incarcération massive et le moment d’agir est venu », Cory Booker, sénateur

« Ne nous y trompons pas, ce projet de loi, qui est un petit pas, affectera des milliers et des milliers de vies », a assuré de son côté le sénateur afro-américain du New Jersey Cory Booker, pour tenter d’atténuer les frustrations des démocrates qui avaient souhaité que la rétroactivité concerne d’autres dispositions que celle qui permettra à 2 600 détenus de recouvrer la liberté. L’American Civil Liberties Union, la puissante organisation de défense des droits, a jugé, après le vote décisif du Sénat, que le texte est « en aucun cas parfait » ; « mais nous sommes au cœur d’une crise d’incarcération massive et le moment d’agir est venu », a-t-elle ajouté.

Les déçus peuvent faire remarquer que la loi intitulée « Premier Pas » ne s’appliquera qu’à une minorité des détenus, les 10 % retenus dans des prisons fédérales, et non aux 27 % des centres de détention locaux comme ceux des comtés, ni aux 57 % des centres pénitentiaires des Etats. Mais elle n’en constitue pas moins la première tentative de correction au niveau fédéral d’une dérive de plus de trente ans.