Sur une plage de Fos-sur-mer, en juin 2017. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Le doute n’est plus permis. Les habitants de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) sont bien contaminés par les gaz toxiques qui s’échappent des cheminées de la zone industrialo-portuaire (ZIP) voisine. Rendue publique lundi 28 mai, l’étude Index permet pour la première fois de connaître le niveau d’imprégnation des populations locales aux polluants issus de l’une des plus importantes ZIP d’Europe, qui concentre des activités de sidérurgie (ArcelorMittal), de raffinerie et de pétrochimie.

Elle était très attendue depuis une autre étude alarmante (Fos Epseal) publiée en janvier 2017. Une équipe universitaire franco-américaine révélait en effet que les cas de cancers et de diabète de type 1 étaient deux fois plus nombreux à Fos que dans le reste de la France.

Portée par l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions (IECP) et validée par l’Agence régionale de santé PACA, Index conclut à une « surimprégnation de la population de Fos-sur-Mer en certains polluants ». Il s’agit de « trois polluants spécifiques, typiques des émissions industrielles » : le plomb, deux furanes heptachlorés (famille des dioxines) et le benzène (chez les individus les plus âgés). Si le plomb et le benzène sont reconnus comme cancérogènes, les deux furanes identifiés présentent des niveaux de toxicité bien moindre que la funeste « dioxine de Seveso ».

Pas de dépassements des seuils réglementaires

Au total, cinquante substances ont été recherchées dans le sang et les urines de 138 personnes âgées de 30 à 65 ans, réparties en deux groupes afin de pouvoir comparer les résultats : 80 habitants de Fos et 58 résidents d’une zone témoin (Saint-Martin-de Crau), à 20 kilomètres.

En dehors du plomb, des furanes et du benzène, les riverains de la ZIP ne sont « pas globalement plus imprégnés » que ceux de la zone témoin. Les concentrations de ces biomarqueurs ne sont pas non plus supérieures aux niveaux nationaux mais la dernière étude nationale date de 2006-2007 alors que les prélèvements d’Index ont été réalisés entre septembre et novembre 2016. La prochaine étude de biosurveillance nationale (Esteban), attendue en 2019, devrait permettre une meilleure comparaison.

Pris polluant par polluant, les résultats d’Index ne montrent pas non plus de dépassements des seuils réglementaires. Mais, note le rapport, la diversité des polluants présents pose la question de « l’effet cocktail », à savoir les conséquences sanitaires d’un cumul de substances toxiques à petites doses. Un effet favorisé par certaines activités liées à l’usage d’un environnement lui-même « surimpacté » par la présence de la zone industrielle.

Ainsi la pratique du jardinage est-elle associée à une augmentation de l’imprégnation en PCB-DL (pour « dioxin-like », c’est-à-dire ayant le même comportement que les dioxines) et la consommation de légumes du jardin à celle du cadmium (classé cancérogène). La consommation fréquente de produits de la mer locaux (poissons ou fruits de mer) est associée à une augmentation de l’imprégnation en PCB, dioxines et furanes, mercure et chrome.

« Robustesse scientifique »

Sur ce dernier point, Index confirme les résultats d’une autre étude de l’IECP mettant en évidence la présence de ces substances cancérogènes dans des produits alimentaires certifiés AOC comme la viande de taureau, les œufs ou les moules. Présentée en février, elle avait suscité la colère des conchyliculteurs et la préfecture des Bouches-du-Rhône l’avait balayée d’un revers de la main, jugeant son « fondement méthodologique insuffisant ».

« Cette fois, personne ne pourra remettre en cause la robustesse scientifique de l’étude, estime Véronique Granier, de l’IECP. Elle a été reconnue par Santé publique France. » L’organisme a participé au comité de pilotage mais s’est retiré quelques jours avant la publication des résultats, jugeant ne pas avoir assez de temps pour les valider.

Autre point inquiétant relevé par Index : la « surexposition » aux particules ultrafines (de diamètre inférieur à 0,1 micromètre), les plus dangereuses car elles pénètrent dans le sang et peuvent atteindre le cerveau. Le comptage en continu de ces particules a été effectué entre août et novembre 2017 : 227 pics (au-delà de 30 000 particules par cm3) ont été enregistrés à Fos contre seulement 63 en zone témoin. Problème, ces nanoparticules ne peuvent se doser dans l’organisme.

« Nous espérons désormais que les industriels se saisiront de ces résultats pour cibler leurs actions afin de réduire la pollution et notamment les émissions de particules ultrafines », commente Sylvaine Goix, l’investigatrice principale de l’étude.

Pour l’IECP, Index doit surtout désormais déboucher sur des études épidémiologiques. L’institut prévoit d’en lancer une prochainement sur le diabète de type 1. Et s’attend, comme le précise Sylvaine Goix, à ce que les autorités sanitaires « ouvrent enfin un registre des cancers que nous réclamons depuis de nombreuses années et que nous ne voyons toujours pas venir ».