Le camp de déplacés d’Al-Hol (Syrie), où sont retenus les enfants et leurs mères qui ont fait l’objet de la décision de justice belge, le 8 décembre. / DELIL SOULEIMAN / AFP

Le gouvernement belge, qui sort à peine d’une crise l’ayant laissé sans réel pouvoir, se serait sans doute bien volontiers épargné cette épine dans le pied. Mercredi 26 décembre, un juge de Bruxelles a ordonné à l’Etat, en référé, de prendre « toutes les mesures nécessaires et possibles » pour rapatrier d’Al-Hol, dans le nord-est syrien contrôlé par les Kurdes, six enfants nés de deux femmes djihadistes belges… Y compris en autorisant ces dernières à rentrer en Belgique pour les raccompagner. Agés de quelques mois à six ans, ces enfants sont retenus avec leurs mères, des visages connus de la justice belge, toutes deux condamnées en mars à Anvers (nord), en leur absence, à cinq ans de prison pour avoir rejoint les rangs de combattants djihadistes en Syrie dès 2012.

La décision du juge des référés du tribunal néerlandophone de la capitale est un camouflet pour la ligne édictée par le gouvernement du premier ministre libéral Charles Michel, qui a décidé que la Belgique accepterait de reprendre au cas par cas les enfants des Belges partis combattre en Syrie, mais pas leurs parents si ceux-ci étaient des djihadistes avérés.

Exécutif muet

Elle a été saluée par les ONG et les avocats de familles – grands-parents, oncles, tantes – ayant entamé des démarches pour récupérer les enfants de leurs proches aujourd’hui bloqués dans des camps en Syrie ou en Turquie. « Nous espérons vraiment que ceci va pousser le gouvernement à ramener tous les enfants localisés en Syrie », a réagi la fondation Child Focus. En 2017, les autorités estimaient qu’une grosse centaine d’enfants belges de moins de 12 ans se trouvaient encore en Syrie, un pays en guerre que plus de 400 adultes belges ont rejoint depuis 2012 dans le but d’y combattre.

Au sein de l’exécutif l’embarras était perceptible après le jugement, qu’aucun ministre n’a commenté. « Nous analysons la situation en concertation avec les ministères de la justice et de l’intérieur », a simplement indiqué un porte-parole du ministère des affaires étrangères, joint par Le Monde. L’Etat belge a la possibilité d’interjeter appel, mais celui-ci ne sera pas suspensif. Dans l’opposition après son départ fracassant du gouvernement début décembre, l’Alliance néo-flamande (N-VA, nationalistes flamands) s’est immédiatement indignée. « Le gouvernement doit faire appel sinon ça va dégénérer », a tweeté l’ancien secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration Theo Francken, figure populaire de ce parti qui a décidé de faire campagne sur l’immigration et la sécurité dans la perspective des élections législatives du 26 mai. « Longue vie au califat grâce à l’Etat de droit belge », a-t-il ironisé en rappelant le parcours des deux mères de 25 et 26 ans, radicalisées dès l’adolescence.

« Politique illégale »

Le juge des référés a donné 40 jours à l’Etat pour rapatrier les six enfants, sous peine d’une astreinte de 5 000 euros par jour de retard et par enfant. Dans ses motivations, il épingle la politique « manifestement illégale » et « contraire aux droits fondamentaux » du gouvernement belge, qui a pour l’instant décidé de ne rapatrier que les enfants âgés de 12 ans et moins. Cela revient de fait, et dans ce cas précis, à séparer les enfants de leur mère, ce qu’interdit expressément la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, relève-t-il. Mais le juge va beaucoup plus loin : il prescrit à l’Etat de remettre ou de faire parvenir des passeports aux enfants et à leurs mères, lui ordonne « de trouver un accord avec les autorités locales, en particulier les gérants du camp » d’Al-Hol pour les en faire sortir, et de « faire accompagner les deux mères par des services de police ou de sécurité pour empêcher leur fuite ».

Le député Georges Dallemagne, spécialiste des questions de terrorisme, rappelle que la Belgique, comme d’autres Etats européens, a toujours été « très réticente » pour aller chercher ses ressortissants, adultes ou enfants. « Mais les Kurdes de Syrie font pression pour qu’on leur reprenne ceux qu’ils hébergent (…) Il doit y avoir moyen de trouver une solution », plaide-t-il, en soulignant que le retrait des troupes américaines annoncé par Donald Trump risque de « compliquer considérablement » la situation des centaines de ressortissants européens aux mains des autorités kurdes du nord-est de la Syrie.

Radicalisées de la première heure

En Belgique, ajoute M. Dallemagne, élu du parti chrétien-démocrate CDH, « l’obstacle politique majeur c’est que les mères sont elles-mêmes considérées par l’opinion comme des menaces potentielles pour la sécurité du pays qu’elles aient participé au djihad ou qu’elles aient voulu s’échapper ».

Le juge des référés néerlandophone avait été saisi par l’avocat des deux mères (ayant trois enfants chacune). Tatiana Wielandt et Bouchra Abouallal, présentées par les médias comme amies et belles-soeurs, font figure de radicalisées de la première heure, dans le sillage de leurs époux, des responsables du groupuscule djihadiste Sharia4Belgium (aujourd’hui dissous). Elles les ont suivis en Syrie fin 2012, à tout juste 20 ans. Rentrées en Belgique pour accoucher du deuxième enfant, elles sont ensuite reparties en Syrie. Après la mort au combat de leurs deux maris en 2014, elles ont été unies à d’autres combattants de l’organisation, et ont donné chacune naissance à un troisième enfant. Si elles reviennent en Belgique, les mères n’échapperont pas à la prison mais elles se disent prêtes à payer pour « leur faute ». L’essentiel, confiait Tatiana Wielandt dans un reportage diffusé en octobre par la télévision publique flamande VRT, c’est que « mes enfants soient en sécurité et aillent à l’école ».