Meurtres conjugaux : plus de 200 femmes tuées en deux ans, selon le recensement de « Libération »
Meurtres conjugaux : plus de 200 femmes tuées en deux ans, selon le recensement de « Libération »
Dans un bilan amer, la journaliste Titiou Lecoq raconte quel enseignement elle retient de son recensement, où derrière les chiffres se fait jour un processus de domination masculine coriace.
Libération a recensé depuis le 1er janvier 2017 le nombre de féminicides. En deux ans, plus de 200 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ancien compagnon. / Félix Pommier pour Le Monde
C’est un bilan « douloureux » que dresse, jeudi 3 janvier, la journaliste Titiou Lecoq, qui a comptabilisé pendant deux ans pour Libération le nombre de femmes tuées par leur par leur compagnon ou ancien compagnon. Durant ces mois d’enquête, la journaliste a recensé plus de 200 féminicides.
« Comment rendre compte de toutes ces vies et de toutes ces morts ? », s’interroge Titiou Lecoq, qui s’est attachée depuis le 1er janvier 2017 à raconter les histoires de ces femmes et des victimes collatérales, derrière les chiffres. « Ce sont les prénoms de nos mères, de nos grands-mères, de nos amies, de nos voisines, de nos patronnes, de nos profs, de nos sœurs, de nos filles, de nos cousines, de nos collègues, ce sont nos prénoms », écrit-elle dans Libération, expliquant dans cet article en forme de bilan « passer le relais à Virginie Ballet », autre journaliste de Libération.
« Ils ne tuent jamais par amour »
Commencé le 1er janvier 2017, ce travail recense des parcours de femmes où l’âge, le contexte, la région et le milieu social varient. Mais l’histoire, elle, est immuable dans ce qu’elle dénonce : « Elles ont été tuées par un homme qui était ou avait été leur compagnon », résume Titiou Lecoq. Ces hommes avaient, eux aussi, des profils différents, souligne la journaliste, listant les multiples récits glaçants des passages à l’acte, et la façon dont ils ont été niés ou avoués.
« Il y a ceux qui étranglent à mains nues, ceux qui plantent un couteau de cuisine dans le cou, ceux qui brûlent vivantes leurs victimes, ceux qui lui tirent dessus au fusil de chasse, ceux qui ont cogné jusqu’à la mort. Il y a ceux qui appellent la police pour dire “j’ai tiré au fusil dans la tête de ma femme”, ceux qui appellent les secours en expliquant qu’“elle a glissé dans la salle de bain”. »
Là encore, dans cette multitude de récits, un point commun rassemble ces hommes : « Ce sont des hommes qui tuent des femmes parce qu’ils considèrent qu’elles doivent leur appartenir. » Et de faire une mise au point : « Ils ne tuent jamais par amour. Ils ne tuent pas parce qu’ils aiment trop. Ils tuent pour posséder, et posséder ce n’est pas et ce ne sera jamais aimer. »
Minimisation
Titiou Lecoq évoque également les victimes collatérales, les enfants, les parents, parfois les témoins de ces homicides, parfois tués eux aussi. Elle dénonce aussi l’attitude irresponsable de la justice, qui minimise ces féminicides, en adoptant parfois la posture du : « C’est une séparation qui se passe mal. »
La journaliste estime que les vocabulaires repris dans les médias participent également à minorer ces homicides :
« Ces femmes ne meurent pas sous les coups. Elles sont tuées. »
Et de rappeler que, chaque jour, des femmes échappent à des tentatives d’homicide, dénonçant une « invisibilisation de l’étendue du phénomène », avant de lister une série d’agressions de femmes par leur compagnon ou ancien compagnon. « Si on ne parle que d’une femme tuée tous les trois jours, c’est uniquement parce que le taux de réussite n’est pas de 100 % », détaille-t-elle, évoquant également les femmes qui se suicident à cause de la violence subie.
La journaliste appelle alors à une prise de conscience à l’échelle de toute la société : « Ce chiffre n’a rien d’une fatalité. Il peut augmenter ou diminuer. Cela dépend de notre vigilance, du bon fonctionnement des institutions policières et judiciaires, et du financement des associations qui font un énorme travail malgré leur épuisement. »
Pour Titiou Lecoq, ce nombre de féminicides met en lumière un constat cruel, celui d’une société fondée sur une domination masculine coriace, qui donne aux hommes, « en son point le plus extrême, le droit de vie et de mort ».
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