Diplomates internationaux et représentants des groupes armés centrafricains à Khartoum, au Soudan, pour l’ouverture du round de négociations, le 24 janvier 2019. / ASHRAF SHAZLY/AFP

Vingt-quatre heures… A Bangui, les Centrafricains rappellent volontiers que le dernier accord de paix signé en juin 2017, sous les auspices de la communauté catholique Sant’Egidio, par les groupes armés rebelles et le pouvoir central, avait tenu vingt-quatre heures. Avant lui, six autres textes du même genre conclus depuis 2013 avaient également volé en éclats plus ou moins rapidement, précipitant à chaque fois le pays dans la violence. C’est donc avec un optimisme mesuré qu’ils ont pris note du lancement, jeudi 24 janvier, dans la capitale soudanaise, d’un nouveau round de négociations de paix.

Cette fois-ci, les parrains de ces discussions – Union africaine (UA), Nations unies, pays voisins de la République centrafricaine (RCA), Russie, Etats-Unis, France notamment – ont voulu mettre le maximum de chances de leur côté. Ce rendez-vous a été patiemment préparé. « Lentement », commentaient encore récemment certains diplomates et observateurs alors que les civils payaient à nouveau le prix de la rivalité sanglante et cupide entre groupes anti-balaka et ex-Séléka pour le contrôle des richesses du pays sur fond d’incurie gouvernementale. En août 2018, la Russie avait d’ailleurs profité de cet entre-deux pour lancer un processus de paix parallèle, à Khartoum déjà, au grand dam du panel de l’UA et de la Mission de l’ONU en Centrafrique, la Minusca.

« Lettre au Père Noël »

« Fonctionnant en courant alternatif », selon les termes d’un diplomate, les médiateurs de l’Union africaine emmenés par son représentant en Centrafrique, le Burkinabé Moussa Nebié, labouraient pourtant le terrain en faisant des navettes entre les quatorze groupes armés et le gouvernement. « Publiquement, toutes les parties adoptaient la même posture : la paix par le dialogue. Il fallait donc les prendre au mot », explique un acteur du dossier. Fin août 2018, la médiation pouvait enfin présenter une longue synthèse des revendications des groupes armés portant sur près de cent points, très divers, traitant aussi bien de la réforme constitutionnelle ou du désarmement des milices que de la construction de systèmes d’irrigation ou de la création d’une université dans le nord-est du pays…

Cette « lettre au Père Noël », comme la décrit un ancien ministre centrafricain, servira de base aux discussions de Khartoum, de même que les conclusions du forum de Bangui de 2015. Cette vaste consultation nationale avait balisé le chemin jusqu’aux élections présidentielle et législatives tenues quelques mois plus tard. Mais elle avait échoué à renouer les fils de la réconciliation après trente mois d’un conflit politique prenant progressivement le masque d’une guerre de religions entre chrétiens anti-balaka et musulmans de l’ex-Séléka.

Parallèlement au travail sur le terrain, la préparation des discussions de paix de Khartoum a donné lieu à un intense ballet diplomatique. Notamment au Congo, au Tchad et au Soudan, trois voisins de la RCA si souvent impliqués dans les sales affaires centrafricaines. Une rencontre de haut niveau s’est également tenue à l’automne à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies pour remuscler la médiation. « Aujourd’hui, tous les pays de la région jouent le jeu : la Russie a usé de son influence sur certains groupes pour que tout le monde soit à Khartoum et l’UE, l’UA et l’ONU exercent une pression unanime, énumère un diplomate proche du dossier. Bref, toutes les bonnes fées sont autour de la table. »

Il faudra que ces fées usent de tous leurs charmes. Car la liste des revendications, si elle comprend des sujets consensuels, inclut surtout des questions hautement sensibles. Il en va ainsi de l’avenir des seigneurs de guerre et de leurs hommes – dont au moins un tiers serait des mercenaires étrangers, selon une estimation fiable – alors que certaines exactions commises au fil des crises relèveraient de crimes de guerre ou contre l’humanité. Ils réclament pourtant d’être associés à un futur gouvernement ou au moins d’être consultés et de convertir leurs groupes en partis politiques. Autrement dit, il s’agirait de troquer, encore une fois en RCA, la paix contre l’impunité. La population, elle, réclame justice si l’on en croit les conclusions du forum de Bangui.

« Optimisme prudent »

Ces milices armées demandent aussi une large autonomie des régions centrafricaines alors que 80 % du pays échappent au contrôle de l’Etat. Qui dit territoire, dit exploitation des ressources naturelles (bois, or, diamants, etc.). « Or les chefs des groupes armés sont devenus des profiteurs de guerre développant par la terreur un business florissant, bien plus lucratif que la paix », notait récemment Nathalia Dukhan, auteure d’un rapport sur ce sujet publié en novembre par l’organisation non ­gouvernementale The Sentry.

Isolés dans la capitale soudanaise entre les murs de l’académie des services de renseignement et de sécurité nationale, le NISS, la nombreuse délégation gouvernementale et des « forces vives de la nation » conduite par le secrétaire général de la présidence, Firmin Ngrebada, ainsi que les représentants de quatorze groupes armés pourraient négocier tout cela pendant une dizaine de jours. Il ne s’agit que de discussions préliminaires, à l’issue encore incertaine. « Nous partons confiants avec, évidemment, l’optimisme prudent », soulignait d’ailleurs, au micro de RFI, Parfait Onanga-Anyanga, le chef de la Minusca avant de s’envoler pour Khartoum. Dans son agenda prévisionnel le plus optimiste, Smaïl Chergui, commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, n’envisageait d’ailleurs pas de conclure un accord de paix avant le mois de mars.