Le 21 novembre 2018 à Virsac. / NICOLAS TUCAT / AFP

Le 21 novembre 2018, quand les forces de l’ordre peuvent à nouveau accéder au péage de Virsac, sur l’A10, devenu un bastion des « gilets jaunes » en Gironde dès les premiers jours du mouvement, ils ne peuvent que constater les dégâts sur les installations et l’infrastructure. Le péage a été saccagé dans la nuit du 19 au 20 novembre. Trente cabines ont été cassées, pillées et incendiées, les barrières plastiques et les glissières antichocs ont fondu, des bâtiments techniques ont été fracturés et vidés, le bitume est troué à cause des braseros alimentés d’essence, de pneus et d’arbres coupés et tirés au milieu de la chaussée.

Désignés par l’enquête des gendarmes de la section de recherches de Bordeaux, trois jeunes majeurs étaient convoqués, vendredi 25 janvier dans l’après-midi, devant le tribunal correctionnel de Bordeaux, pour dégradation par incendie et vol en réunion. Trois jeunes hommes vivant encore chez leurs parents et qui n’ont jamais fait parler d’eux auparavant. Ils auraient dû être jugés le 7 décembre dans le cadre d’une procédure de comparution immédiate mais ils avaient demandé un délai pour préparer leur défense.

Un péage abandonné à la merci des casseurs

Ne pouvant contrôler ses jambes animées d’un tic nerveux, Alexis, 19 ans, est déjà en larmes.

« J’avais manifesté le samedi et le dimanche avec mes parents, mais un gars que je connais m’a dit que j’étais un lâche. Depuis mon enfance on se moque de moi à cause de mes rondeurs alors je n’ai pas voulu passer pour un blaireau, j’y suis allé. »

Il admet avoir mis « trois, quatre coups de barre de fer trouvée sur place dans une borne SOS » avant de la passer à ses camarades et avoir « jeté une barrière dans un feu déjà allumé ». Il a aussi ramassé des boulons des barrières et les a mis dans un sac « en cas que je me fasse gazer, pour me défendre ».

« Quand on a vu que ça dégénérait, on est parti »

Mais les forces de l’ordre avaient abandonné les lieux. Le péage occupé par les « gilets jaunes » était à la merci des casseurs. « J’ai vu pas mal de trucs sur Snap[chat] et les réseaux sociaux j’ai voulu aller voir », confie Thibault, 20 ans, un brin désinvolte. Il s’est cassé un doigt dans l’expédition. Les remarques de la présidente semblent glisser sur lui. Ce soir-là, il a reçu un SMS retrouvé sur son téléphone : « Prends de l’essence ça va être le bordel. » Alors il a pris un masque et un litre de carburant. « Pour faire des feux de blocages. Mais c’était débile, on n’a pas réfléchi avant. Je suis sûr à 75 % que je n’aurais rien envoyé sur les forces de l’ordre », assure-t-il, conscient que son projet d’intégrer l’armée est « mort ».

Déconcertants de sincérité ou de feinte naïveté, les trois prévenus promettent de mettre de l’ordre dans leurs fréquentations. « Quand on a vu que ça dégénérait, on est parti », plaide Alexis. Florian, 19 ans, assure n’avoir rien fait ni rien touché. Sauf son portable, avec lequel il a filmé la scène. « Au début, c’était marrant, après je me suis décalé sur le côté », explique-t-il dans un haussement d’épaules et le sourire en coin. Il récite vaguement les revendications initiales des « gilets jaunes » mais admet n’en avoir jamais porté.

« Ce n’est que du matériel »

L’avocate des Autoroutes du sud de la France (ASF) rappelle que « les actions des uns ne se font pas sans la présence des autres ». Le substitut du procureur Sophie Ohanna retient aussi cette coaction. Elle admet qu’il « y a eu bien plus grave cette nuit-là », mais se demande encore ce que ces jeunes « en recherche du grand frisson » sont allés faire au péage cette nuit-là. La magistrate n’a pas la certitude qu’ils aient compris la gravité de leurs actes. Elle requiert huis mois de prison avec sursis.

« Le péage leur appartenait, l’excitation des autres les galvanisait »

Les avocats de la défense présentent leurs clients comme de jeunes immatures. « Florian a manqué de jugeote », pour Me Emmanuelle Plumelet. « Alexis a pris la leçon de sa vie par son père, sait Me Anne-Laure Cuidet. Cette nuit-là, le péage leur appartenait, l’excitation des autres les galvanisait. »

Me Arnaud Bayle voudrait que Thibault et les autres soient jugés en dehors du contexte et sans les images de l’incendie général et du saccage du péage. « Il a voulu faire le malin et rouler des mécaniques. Il y avait chez ses parents des objets qui pouvaient servir de projectiles sur les forces de l’ordre, mais il ne les a pas pris. » L’avocat souligne « la gravité relative » des faits reprochés : « Ce n’est que du matériel. » Le tribunal a mis le jugement en délibéré et rendra sa décision le 8 février.