Au Brésil, à Brumadinho, entre révolte et crainte d’une nouvelle catastrophe
Au Brésil, à Brumadinho, entre révolte et crainte d’une nouvelle catastrophe
Par Anne Vigna (Brumadinho (Brésil), envoyée spéciale)
La rupture d’un barrage dans la ville du Minas Gerais a fait 58 morts et 305 disparus. Un autre ouvrage du géant minier Vale a failli céder.
A Parque da Cachoeira (Brésil), ensevelie à la suite de la rupture du barrage de Brumadinho, le 26 janvier / MAURO PIMENTEL / AFP
Si les hélicoptères ne volaient pas au-dessus de ses collines pelées, Brumadinho serait une ville bien silencieuse. Dimanche 27 janvier, deux jours après la rupture du barrage du géant minier Vale, les commerces ont baissé leurs rideaux et les rues sont presque désertes. « D’habitude, la ville n’est pas comme ça le dimanche, mais les gens restent chez eux. Personne n’a envie de se balader pour voir ce désastre », dit Alexandre Souza, 19 ans, rencontré dans une pharmacie de la ville. La catastrophe est pourtant visible de tous. Il suffit de grimper quelques rues pour apercevoir une coulée de boue couleur café, qui s’étend sur plusieurs kilomètres, entre deux vallées vertes.
Sur les rives de la rivière Paraopeba, quelques badauds observent en silence une eau rouge et boueuse, qui rappelle tellement celle du Rio Doce, après la rupture d’un autre barrage du géant minier Vale, à 90 km de là, en 2015. Nestor Silva, retraité, est venu avec sa petite-fille à l’endroit où il aimait pêcher le dimanche. « A quoi bon avoir une canne à pêche maintenant, n’est-ce pas ?, lance-t-il avec amertume. Vous voyez le poisson mort sur ce rocher. Cette boue est forcément toxique et va tout foutre en l’air. » Dimanche matin, il a été réveillé à 5 h 30 par une sirène hurlante et « des pompiers paniqués qui tapaient aux portes des maisons en criant debout, il faut partir », raconte-t-il.
« Les gens sont en colère »
Un autre barrage du même complexe minier, qui contient près d’un million de mètres cubes d’eau, a menacé aussi de rompre. Tous ceux qui vivent dans la partie basse de la ville ont fui en emportant quelques affaires. A 15 heures, le porte-parole de la défense civile, Flavio Godinho, a annoncé que le danger était écarté : « Les secours ont pompé 200 000 m3 d’eau et vont continuer. Selon les techniciens de Vale qui nous accompagnent, le risque de rupture est passé d’un niveau 2 à un niveau 1. La population peut donc rentrer chez elle. »
Nestor Silva, lui, a décidé de rester chez son fils, qui habite sur les hauteurs. « Niveau 1, niveau 2, je n’y crois plus à leur classification des risques. Ils disaient que leur barrage était sans danger, qu’il était désactivé, comment va-t-on vivre maintenant ? Notre peur est niveau 5 à présent », s’emporte-t-il.
Ces mots sont prononcés par bien des habitants de Brumadinho. La mine Corrego do Feijao, installée sur les collines de leur ville, fait partie du complexe minier Paraopeba qui comprend 13 barrages : certains retiennent des déchets miniers, d’autres captent de l’eau et les derniers sont des structures de « régulation de débit ». Brumadinho est entourée par huit barrages aux proportions gigantesques. Le barrage qui a cédé vendredi 25 janvier, occupait 27 hectares, avec un mur de contention de 87 mètres de hauteur.
« Les gens sont très en colère car si ce barrage ne recevait plus de déchets miniers depuis 2015, Vale n’a apparemment rien fait pour les éliminer et minimiser les risques », explique Leticia Oliveira, coordinatrice pour le Minas Gerais du Mouvement des victimes des barrages.
Cette colère est bien visible au « centre d’information » mis en place par Vale pour accueillir les familles des victimes. Sous un grand préau, les familles attendent toute la journée des nouvelles de leurs proches. A chaque fois qu’un hélicoptère se pose sur le terrain de football un peu plus haut, elles courent, anxieuses, voir ce que les secours ramènent. Quand il s’agit de grands sacs noirs, certaines s’évanouissent contre le grillage qui sépare le public des militaires.
Dimanche, troisième jour d’attente, le désespoir était à son comble. A cause du risque de rupture du deuxième barrage, les secours n’ont pu travailler, l’armée empêchant toute personne de s’approcher de la coulée de boue. A midi, devant l’inaction des secours, les familles ont réuni les caméras de télévision pour dire leur révolte : « On veut aller les chercher nous-mêmes, qu’ils nous laissent passer ! Si on ne les sauve pas aujourd’hui, il n’y a plus d’espoir. »
Une centaine de personnes ont alors tenté de manifester, aux cris de « Soldats, laissez-nous passer », mais la police les a empêchés d’avancer au bout de quelques rues. « Personne ne bouge à cause d’un barrage qui a peut-être 5 % de chances de rompre ? C’est vrai, cette histoire de barrage ? Est-ce que ce n’est pas Vale qui invente encore autre chose pour ne rien faire ? », criait un père de famille aux policiers visiblement émus mais contraints à la fermeté.
Gel d’avoirs
En fin de journée, Eduardo Angelo, commandant de l’opération de secours, a dû reconnaître qu’aucun survivant n’avait été localisé ce dimanche et que le bilan s’élève désormais à 58 morts et 305 disparus. Lundi, les opérations de secours vont reprendre mais « les chances de retrouver des survivants sont désormais minimes », a ajouté le commandant. Une nouvelle fois, l’entreprise Vale brillait par son absence. Hormis des employés estampillés « Vale » et qui portent autour du cou des petites pancartes « Puis-je aider ? », aucun responsable de la mine n’était présent au centre d’information.
Sur les radios locales, des spots très réguliers assurent pourtant que « Vale met tout à disposition pour aider Brumadinho. Quarante psychologues et soixante assistantes sociales sont aux côtés des victimes ». Mais même le maire, Avimar de Melo, a reconnu qu’il avait du mal à obtenir des réponses sur l’état réel des barrages dans sa commune. « Vale est très importante pour nous, elle représente plus de 1 000 emplois et 60 % de nos ressources fiscales. Mais cela ne lui donne pas le droit de négliger sa responsabilité », a estimé l’élu.
La justice, locale et fédérale, a décidé de geler les avoirs de la multinationale à hauteur de 2,75 milliards d’euros. Une décision inédite, bien différente de celle prise lors de la tragédie précédente, en 2015. Comme si la justice brésilienne ne croyait plus trop à la « grande disposition pour aider les victimes » du géant minier.
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