Juan Guaido, président autoproclamé du Venezuela, lors d’une session du Parlement à Caracas, lundi 29 janvier 2019. / CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS

Mercredi 23 janvier, le président du Parlement vénézuélien, Juan Guaido, s’est autoproclamé « président en exercice », soutenu rapidement par les Etats-Unis. Samedi 26 janvier, six pays européens, dont la France, ont exigé de Nicolas Maduro qu’il organise des élections. Cet ultimatum expire dimanche 3 février.

Pour faire basculer l’armée, qui a réaffirmé sa loyauté à M. Maduro, Juan Guaido a offert l’amnistie aux militaires et appelé à manifester le 30 janvier et le 2 février. Washington a annoncé, lundi 28 janvier, des sanctions économiques afin de contraindre M. Maduro à céder le pouvoir.

Marie Delcas, correspondante régionale du « Monde » en Colombie, a répondu en direct à vos questions.

FHC : Comment Maduro peut-il encore tenir ?

Marie Delcas : Nicolas Maduro bénéficie du soutien d’une partie de la population, qui, par calcul politique ou par fidélité à la mémoire d’Hugo Chavez (1999-2013) et aux bontés passées de la révolution bolivarienne, continue de soutenir le gouvernement en place.

Dans l’immédiat, c’est le soutien de l’armée qui permet à Nicolas Maduro de tenir. Les désertions qui se sont multipliées depuis plusieurs mois laissent penser que le malaise y est vif. Mais le haut commandement n’a donné aucun signe de fracture pour le moment.

Fidel Batista : Comment expliquer ce statu quo étrange où Guaido n’est pas en mesure de prendre le contrôle de l’appareil d’Etat, mais où Maduro, symétriquement, ne semble pas pouvoir (ou vouloir) arrêter Guaido ?

M. D. : Le succès du scénario mis en place par l’opposition rend Juan Guaido « intouchable ». Le jeune président de l’Assemblée nationale est soutenu par tous les partis d’opposition (du jamais-vu), il est reconnu par Washington et les manifestants sont massivement retournés dans la rue. Le gouvernement de Nicolas Maduro sait que la situation est potentiellement explosive et qu’arrêter Guaido pourrait être l’étincelle…

James : Bonjour, la crise économique, qui a entraîné la crise politique, au Venezuela, est-elle due à la chute des cours du pétrole ? L’inflation des tarifs des produits d’importation est due à quel phénomène ?

M. D. : La phénoménale manne pétrolière des années Chavez a provoqué un nouvel épisode de la « maladie hollandaise » [ou malédiction des matières premières]. Le gouvernement a gaspillé sans compter – il s’est même endetté. D’abord pour financer les programmes sociaux mis en place, qui étaient indispensables. Ensuite pour emporter les élections et s’enrichir.

Par conviction idéologique et par calcul politique (pour fragiliser le secteur entrepreneurial qui lui était hostile), Hugo Chavez a renforcé l’emprise de l’Etat sur l’économie. L’incompétence, la gabegie et la corruption de l’équipe au pouvoir ont augmenté avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro. Hugo Chavez et Nicolas Maduro se sont fixé pour objectif de réduire la dépendance pétrolière du pays. Non seulement ils ont échoué, mais ils ont ruiné leur pays.

David Venezuela : Vous dites qu’une partie de la population soutient Maduro… Est-ce que vous avez des pourcentages ? Des informations annoncent moins de 10 %…

M. D. : J’étais ce week-end à la frontière avec le Venezuela. A la question de savoir s’il y avait encore des chavistes pour supporter Nicolas Maduro, TOUS les Vénézuéliens de milieu modeste interrogés ont répondu par l’affirmative. Et aucun n’exprimait la moindre sympathie pour Nicolas Maduro. Un reportage ne vaut pas sondage. Des élections libres sont le seul moyen d’obtenir un pourcentage indiscutable…

CamilleB : Quelles sont les orientations politiques de Guaido ?

M. D. : Juan Guaido est proche de Leopoldo Lopez, le fondateur du parti Voluntad Popular, qui purge, à domicile, une peine de prison. Sur l’échiquier droite/gauche, le parti se situe clairement à droite (et ses militants l’assument) mais l’étiquette perd de son importance dans les circonstances actuelles. Tous les anti-Maduro soutiennent le principe d’une transition démocratique et considèrent que Juan Guaido est l’homme de la situation. La division droite/gauche est estompée par la gravité de la crise que vit le Venezuela. Elle reviendra probablement au galop, en cas de victoire de M. Guaido.

Julien : Bonjour, pourquoi l’Union européenne soutient-elle Juan Guaido, un homme qui n’a jamais été élu, en opposition flagrante avec la Constitution vénézuélienne et la Charte des Nations unies ?

M. D. : Les pays de l’Union européenne (UE) n’ont pas reconnu les résultats de l’élection présidentielle du 20 mai 2018, boycottés par une partie de l’opposition et marquée par une forte abstention. C’est pour cela que l’UE refuse de reconnaître le deuxième mandat de Nicolas Maduro. Il est probable que si M. Guaido ne s’était pas « autoproclamé », l’UE ne se serait pas prononcé sur la légitimité de ce deuxième mandat…

Nico : Bonjour, une note de Bolton (conseiller du président Trump) évoque la possibilité d’envoyer 5 000 soldats en Colombie. Est-ce une option vraiment envisagée et cela serait-il les prémices d’une intervention militaire dans le pays ?

M. D. : En Amérique latine, « arrière-cour des Etats-Unis », la question est toujours présente. Elle est d’actualité depuis que Donald Trump a répondu une première fois en août 2017 que « toutes les options étaient sur la table ». Le débat a été relancé lundi 28 janvier, par l’incident du bloc-notes de John Bolton. La photo prise à l’occasion de la conférence de presse a permis de lire les deux lignes de notes : « 5 000 soldats pour la Colombie ». Elles ont relancé toutes les craintes de ceux qui, au Venezuela et ailleurs, considèrent qu’une intervention militaire serait la pire des options.

Le général Mark Stammer, commandant du Commando Sud de l’armée américaine, est attendu en visite officielle à Bogota. Le gouvernement d’Ivan Duque affirme qu’il s’agit d’une visite de routine. Les analystes et les diplomates jugent peu probable que Washington envisage sérieusement une opération militaire au Venezuela, au moment où Donald Trump cherche à désengager ses forces d’Afghanistan et de Syrie.

L’aile la plus radicale de l’opposition vénézuélienne appelle de ses vœux une telle intervention. La sécurité des diplomates restés à Caracas et celle de Juan Guaido constituent une ligne rouge que Nicolas Maduro va très probablement se garder de franchir.

Vincent : Bonjour, que sait-on de l’état d’esprit de l’armée, au-delà des échelons supérieurs qui resteront fidèles à Maduro ? La défection récente d’un militaire en poste à Washington peut-elle entraîner d’autres gradés vers Guaido ?

M. D. : Il est permis d’imaginer que l’attaché militaire de l’ambassade vénézuélienne a monnayé très cher sa défection. Elle permet de masquer le fait que la débandade des généraux (sur laquelle tablaient probablement les Etats-Unis et l’opposition) se fait attendre.

Guaido multiplie les gestes envers les militaires. Il a fait voter une loi d’amnistie pour les inciter à appuyer la transition et s’adresse à eux en termes très respectueux. Là aussi, c’est nouveau.

Le président vénézuélien Nicolas Maduro (au centre), en visite aux forces armées dans l’Etat de Carabobo, aux côtés de son ministre de la défense, Vladimir Padrino Lopez (à droite), dimanche 27 janvier. / Marcelo Garcia / AP

Nicolas : Y a-t-il un risque de guerre civile ?

M. D. : Depuis vingt ans, la confrontation politique est vive au Venezuela. Mais jusqu’à présent, les Vénézuéliens des deux bords – qui peuvent exprimer beaucoup de rage et de haine – ont refusé l’option de la violence politique à grande échelle.

Les violences des manifestations de 2017 étaient le fait de militants très engagés et de casseurs. Les conditions ont changé et la précarité de la situation économique des classes populaires fait craindre un « un bain de sang », pour reprendre l’expression du pape. Gouvernement et opposition continuent de multiplier les appels au calme et à la paix civile.

Joueur : Que les Etats-Unis et une partie de l’Europe pousse l’opposition ne surprend pas, mais pourquoi les pays voisins du Venezuela reconnaissent aussi rapidement comme président cet opposant non élu ?

M. D. : Chili, Colombie, Brésil… la plupart des pays d’Amérique latine ont des gouvernements de droite, voire d’extrême droite. Seuls la Bolivie, le Nicaragua et Cuba soutiennent aujourd’hui Nicolas Maduro. Une exception mérite d’être signalée : le Mexique d’AMLO, qui maintient un discours prudent et pourrait jouer les médiateurs.

La crise vénézuélienne est devenue une crise régionale. Selon les chiffres de l’ONU, trois millions de Vénézuéliens ont déjà quitté leur pays. La Colombie a reçu plus d’un million de migrants en 2018 (le chiffre n’inclut pas les Vénézuéliens qui n’ont fait que traverser son territoire).

Ceux qui, en Europe, soutiennent encore le gouvernement Maduro n’ont pas pris la mesure de la catastrophe économique et sociale qui se joue. En Amérique latine, la gauche s’est démarquée du gouvernement de Nicolas Maduro, jugé autoritaire et corrompu. L’échec de la révolution bolivarienne a joué en faveur du retour de la droite ci-dessus mentionné.

akira : De quel droit la France se permet-elle de faire preuve d’ingérence au Venezuela ? La Syrie n’a-t-elle pas été une leçon suffisante ?

M. D. : C’est aux journalistes qui sont à Paris de répondre. Emmanuel Macron, dont on imagine qu’il n’est pas pressé de reconnaître un président autoproclamé, a probablement concerté sa réponse avec ses partenaires européens.

Au Venezuela, les deux présidents sont illégitimes pour des raisons différentes. Seules des élections libres permettraient une sortie de crise pacifique… C’est la position de l’Union européenne. Il n’y en a pas beaucoup d’autres possibles.

AmineT : Quels sont les scénarios plausibles de sortie de crise ?

M. D. : Le sénateur républicain Marco Rubio – « l’architecte » du scénario vénézuélien, selon le New York Times – a évoqué quatre scénarios de sortie de crise : dérive répressive avec risque de guerre civile, substitution de Nicolas Maduro (par les chavistes), junte militaire et départ négocié de Nicolas Maduro, en précisant que seule cette dernière option était conforme aux intérêts des Etats-Unis.

C’est dire que les Etats-Unis ont joué une carte risquée. Personne ne contrôle complètement la situation, qui reste très volatile

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