ESCP Europe, Polytechnique, des bachelors pour capter l’élite mondiale
ESCP Europe, Polytechnique, des bachelors pour capter l’élite mondiale
Par Pascal Galinier
Les deux grandes écoles françaises ont lancé des formations postbac « premium », avec un diplôme bac + 3 à la clé. Jeudi 7 février, Florence Parly, ministre des armées, pose la première pierre du bâtiment des bachelors de Polytechnique
Le deuxième campus parisien de l’ESCP Europe à Montparnasse, dans les anciens locaux de l’Ecole commerciale de la Chambre de commerce de Paris (1863). / ESCP EUROPE
Noblesse oblige… Deux des plus anciennes et prestigieuses grandes écoles de France, Polytechnique et ESCP Europe, ont décidé de jouer la carte du « bachelor ». Elles ont intégré dans leur offre des formations postbac, différentes du cursus classique après prépa, avec un diplôme sanctionnant trois années d’études.
Une mini-révolution qui n’est pas anodine. Jeudi 7 février, la ministre des armées, Florence Parly, autorité de tutelle de Polytechnique, vient sur le campus de Saclay poser la première pierre du futur bâtiment consacré aux bachelors de l’X.
Les deux écoles ont en commun une stratégie de bachelor d’élite. Avec une même obsession : l’excellence. Celle-ci a un prix : 14 000 euros l’année pour l’ESCP (et 20 000 euros pour les étudiants non européens) ; 12 000 euros pour l’X (15 000 euros pour les non-européens). Cela reste certes trois fois moins cher qu’outre-Atlantique : « Trois ans à l’ESCP coûtent le prix d’un an à Stanford ou Wharton », dit Léon Laulusa, directeur adjoint chargé des affaires internationales à l’ESCP. Sans compter le coût de la vie, qui peut doubler la mise. « Chez nous, les bachelors sont logés sur le même campus que les étudiants ingénieurs de Polytechnique », précise Claire Lenz, directrice déléguée du programme de bachelor à Polytechnique.
L’objectif est double pour les deux établissements : retenir les top guns, ces étudiants de l’élite souvent tentés de partir à l’étranger dès leur bac obtenu, mais aussi faire venir ceux qui, hors de nos frontières, se verraient bien étudier en France mais ne savent pas trop comment s’y retrouver dans notre système universitaire. « Nous avons un socle théorique incomparable en France, dit Claire Lenz. Et il existe des étudiants brillants dans le monde entier qui pourraient faire l’X. »
480 chambres et 8 studios seront mis à disposition des étudiants en bachelor sur le campus de l’Ecole polytechnique à Saclay. / Badia Berger
L’ESCP et Polytechnique, avant de se lancer, ont fait un benchmark de l’offre planétaire de ce qu’est le diplôme postbac de référence le plus délivré dans le monde. Dans leur ligne de mire, que du beau linge. L’école de commerce parisienne se pose en « alternative à Harvard ou Cambridge », celle d’ingénieurs de Palaiseau en concurrente de « Yale, Princeton, McGill, l’Imperial College London, l’EPFL [Ecole polytechnique fédérale de Lausanne] ». Excellence et international à tous les étages.
Il ne s’agit donc ni dans un cas ni dans l’autre d’un accès par la petite porte à la grande école. « On réfléchit à des passerelles d’accès direct en deuxième année, mais avec toujours un niveau d’excellence », insiste Léon Laulusa. Les trois quarts de ses 380 étudiants de la promotion 2019 – 25 % de Français, 50 % d’Européens, 25 % d’élèves venus de 51 pays hors Europe – ont obtenu leur bac avec mention bien ou très bien, et 16 % avec la mention assez bien.
Le bachelor est « une alternative réelle, y compris pour ceux qui ont le niveau prépa », affirme le directeur adjoint d’ESCP Europe. « Nos bachelors ont la possibilité de passer le concours de l’X, mais ils n’ont aucun passe-droit, ils le feront comme tout le monde, en candidats anonymes », assure, pour sa part, Claire Lenz – qui tient à prévenir que « leur charge de travail est similaire à celle d’une prépa ».
Pas question, on l’aura compris, de se voir assimilé à ces écoles postbac qui se sont multipliées depuis l’adoption par l’Union européenne du système BMD (Bachelor’s Master’s Doctorate System). Rester dans les clous de l’Europe tout en visant la concurrence anglo-saxonne, une ligne de crête exigeante pour les deux grandes écoles qui entendent dominer à la fois la loi de l’offre et celle de la demande. A un niveau « premium ».
Ce premier cycle se fait en trois ans, au lieu de quatre pour les bachelors anglo-saxons. Mais les enseignements sont intégralement en anglais. Même si la pratique du français est un prérequis pour être sélectionné à Polytechnique. « Ceux qui ont les acquis scientifiques mais pas le niveau exigé en anglais “finissent” souvent en prépa », sourit la responsable du bachelor X.
A Palaiseau, les candidats ne seront pas tenus de gravir les légendaires 295 marches du plateau pour monter au campus ; ni de prendre l’avion. Leur recrutement se fait à l’issue d’un long entretien intégralement en anglais par visioconférence, « pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité, de quelque continent qu’ils soient ». Ils seront cuisinés une demi-heure sur les matières scientifiques et vingt minutes sur leur motivation pour intégrer l’X en passant par le bachelor. « Si un candidat nous dit qu’il vise le programme ingénieur, on lui dit d’aller faire une prépa », balaie Claire Lenz.
Elément consubstantiel à l’excellence exigée : la sélection. Rien de neuf dans ces écoles où se forge depuis deux siècles la méritocratie républicaine. « Le bachelor est une formation civile, précise-t-on à Polytechnique. Mais le corps enseignant est le même que pour nos étudiants ingénieurs et de masters, et nous avons élaboré ensemble un collectif de valeurs civiques, d’esprit d’équipe, de sport, aussi, très important… » Sans oublier les alumni : « Cette année, les “X12” [polytechniciens frais émoulus entrés en 2012 après le concours] parrainent nos bachelors », ajoute la directrice déléguée, pour qui « l’ADN de l’X est le même pour tous ».
Idem à l’ESCP Europe, où « les liberal arts [humanités] sont l’une des quatre dimensions que nous avons combinées, avec le management, les langues étrangères [au nombre de trois] et les maths, bien sûr », recadre Léon Laulusa.
Ah, les maths… Encore une exception française. Claire Lenz s’enthousiasme de ce qui pourrait n’être qu’une anecdote : « Cinq de nos étudiants bachelor étaient si forts en informatique que les profs les ont mis en deuxième année ingénieurs pour cette matière : ils sont les meilleurs de la classe ! » Deux d’entre eux représenteront l’X au concours international de programmation Swerc (Southwestern Europe Regional Contest), organisé chaque année par l’Association for Computing Machinery.
Quant aux bourses, elles sont, elles aussi, méritocratiques, attribuées en priorité aux candidats admis « with honors » à l’X, et via le fonds Paideia « pour l’innovation pédagogique, l’éducation prioritaire », récemment lancé par l’ESCP Europe.
Que font ensuite ces diplômés de leur bachelor ? Les deux tiers poursuivent en master ou intègrent le cycle post-prépa de l’école ou d’une autre – après concours, le bachelor devenant l’équivalent d’une classe prépa. Cette année, « un de nos bachelors de la première promotion, en 2015, poursuit en master à Columbia », se félicite Léon Laulusa, précisant que l’école française lui a obtenu une dérogation pour qu’il puisse intégrer l’université new-yorkaise avec un simple bac + 3 au lieu du bac + 4 du bachelor américain.
La plupart des autres grandes écoles de commerce ont ajouté une offre de bachelors à leur catalogue national et surtout international. Ainsi de Skema Business School, qui développe un programme BBA (Bachelor of Business Administration) en quatre ans sur l’ensemble de ses campus français et internationaux (Chine, USA, Brésil) et en échanges avec les universités partenaires, telles que North Carolina State University (NCSU) ou Western Carolina University (WCU). Bachelor ou grande école, l’heure de la mondialisation a bien sonné pour l’élite républicaine.