France 3, jeudi 7 février à 23 h 35, documentaire

L’art peut se transformer en redoutable arme de domination. Et dans ce domaine, les Etats-Unis sont, depuis les années 1940, ­passés maîtres en matière de soft power. Ce passionnant documentaire, rythmé par la voix de François Marthouret et riche d’ar­chives en couleur couvrant la période 1940-1960, de témoignages (artistes, collectionneurs, critiques d’art) et d’entretiens, revient en détail sur la manière dont les Etats-Unis, profitant du chaos ­engendré par le second conflit mondial, de la détresse européenne, puis de la guerre froide, ont utilisé les artistes.

Dès 1942, la « French Modern Painting » est à l’honneur, grâce notamment à la mécène Peggy Guggenheim

Tout commence avec l’occupation de la France en 1940. Capitale de l’art mondial, Paris est humiliée. Avec l’aide du journaliste américain Varian Fry (1907-1967), qui a mis sur pied une filière d’évasion, de nombreux artistes traversent l’Atlantique. A New York, ils retrouvent d’autres peintres exilés, découvrent de nouvelles possibilités et, dès 1942, la French Modern Painting est à l’honneur, grâce notamment à la mécène Peggy Guggenheim. Des rencontres décisives ont lieu entre de jeunes peintres américains et leurs aînés venus de France. Dans les bars, les restaurants, les ateliers, l’énergie créatrice semble sans limites. Et bientôt, les œuvres signées Mark Rothko, Jackson Pollock ou Robert Motherwell vont séduire Peggy Guggenheim et d’autres personnalités puissantes.

La guerre se termine. De nouvelles formes, de nouveaux gestes font leur apparition dans la peinture américaine. « Repartir à l’origine de l’art comme si la peinture n’avait jamais existé », indique le peintre Barnett Newman, l’un des représentants majeurs de l’expressionnisme abstrait.

Financements de la CIA

Pendant que la jeune garde américaine travaille et que le Plan Mar­shall aide l’Europe occidentale à se relever, un véritable plan culturel secret se met en place, avec l’objectif de favoriser l’émer­gence d’artistes américains sur la scène mondiale. En 1947, une grande exposition ­itinérante en Europe présente 79 œuvres de peintres américains. La polémique éclate lorsque l’on apprend qu’elle a été financée par le département d’Etat, le ministère des affaires étrangères. Quelques années plus tard, et c’est l’un des moments les plus intéressants de ce documentaire, la CIA n’hésitera pas à financer, à travers des fon­dations, d’autres opérations de ce type. Le soft power à l’américaine ne s’embarrasse pas de principes en pleine guerre froide…

L’idée de valoriser des artistes américains de gauche pour promouvoir le libéralisme fait son chemin

Le célèbre MoMa, à New York, achète la nouvelle peinture américaine en masse. Pour Nelson Rockefeller, créateur du musée, l’expressionnisme abstrait qui fait fureur représente à merveille l’idée de libre entreprise si chère à l’Amérique. L’époque durant laquelle des peintres américains étaient soupçonnés de communisme laisse place à la realpolitik : l’idée de valoriser des artistes américains de gauche pour promouvoir le libéralisme fait son chemin.

La CIA finance colloques, expositions, congrès et magazines culturels. Au début des années 1950, l’agence USIA devient une machine de guerre mondiale qui, à travers les radios et les services culturels, vend (et vante) l’Amérique au monde. Au début des années 1960, le pop artva incarner la nouvelle identité américaine. Une étape supplémentaire dans le règne culturel des Etats-Unis.

La Face cachée de l’art américain, de François Lévy-Kuentz (Fr., 2017, 55 min) www.france.tv/france-3