S’ouvrir socialement malgré une sélection accrue : le dilemme des Instituts d’études politiques
S’ouvrir socialement malgré une sélection accrue : le dilemme des Instituts d’études politiques
Par Cécile Peltier
Depuis quinze ans, les neuf Sciences Po situés en régions, de plus en plus demandés par les lycéens et très sélectifs à l’entrée, tentent de sortir de la « reproduction des élites ».
Sciences Po Lille, l’un des sept IEP membres du Réseau ScPo. / VVVCFFrance/wikicommons
De plus en plus demandés par les lycéens, de plus en plus sélectifs à l’entrée. Et donc de plus en plus « fermés » socialement. Voilà la pente sur laquelle glissent les neuf Instituts d’études politiques (IEP) régionaux, qui recrutent en première année quelque 1 500 étudiants.
Si les modalités de sélection varient, le souci est le même : trouver des jeunes gens alliant une solide culture générale et des qualités d’analyse. « Nous voulons des jeunes motivés, et pas seulement de bons élèves », explique Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) et présidente du réseau Sc Po. Un réseau de sept IEP (Aix-en-Provence, Lille, Lyon, Rennes, Saint-Germain-en-Laye, Strasbourg et Toulouse), qui ont mis en place un concours commun, accessible après le bac et à bac + 1. Un format qui favorise les bac + 1, lesquels réussissent trois fois mieux que les bacheliers.
A l’IEP de Bordeaux, la philosophie est différente. Pour mettre les candidats à égalité, le concours d’entrée, qui ne demande pas « de préparation ad hoc pour réussir », est limité aux bacheliers de l’année. Sciences Po Grenoble, qui dispose comme Bordeaux de sa propre procédure d’admission, réserve la moitié des places aux bacheliers de l’année.
Surreprésentation des classes supérieures
Ceux qui franchissent la ligne d’arrivée ne sont pas nombreux. Le taux de réussite au concours commun était de 13,3 % en 2017 : avec de telles statistiques, seuls les meilleurs élèves décrochent leur ticket (plus de trois quarts de mentions « très bien » et « bien » parmi les admis). Par ailleurs, les titulaires d’un bac ES constituent 57 % des admis en 2017. Une prédominance logique, vu la proximité entre le programme de ES et les matières enseignées en IEP. Cela n’empêche pas les très bons profils issus de L et de S (12 % et 30 % des admis) d’être de bons candidats.
Avec de nouvelles spécialisations (finance, management, innovation…) et la diversification des débouchés, les IEP sont devenus attractifs pour des profils très larges, ajoute Céline Braconnier : « Nos écoles, dont 70 % à 80 % des diplômés vont travailler dans le privé, forment davantage de cadres d’entreprise que de hauts fonctionnaires. » Pour Philippe Teillet, directeur des études du second cycle de Sciences Po Grenoble, « la sélectivité du concours attire de bons lycéens, dont beaucoup de filles, elles-mêmes majoritaires en section ES ». Une tendance, selon Céline Braconnier, qui « laisse espérer une féminisation des fonctions d’encadrement ».
En matière de diversité, les étudiants des classes sociales supérieures sont surreprésentés dans les IEP. Mais ceux-ci se sont dotés, depuis quinze ans, de programmes d’égalité des chances. Pour limiter l’autocensure de certains jeunes, ils ont tissé des partenariats avec des lycées et collèges défavorisés. C’est, par exemple, l’objectif de « Je le peux parce que je le veux », préparation gratuite au concours par Sciences Po Bordeaux. « Alors que Sciences Po Paris a fait le choix d’une forme de discrimination positive en instaurant une voie pour des élèves de l’éducation prioritaire, chez nous, tous les candidats passent le même concours, mais nous en préparons certains en amont », résume Jean Petaux, directeur des relations extérieures de l’IEP bordelais. Au programme : cinquante heures de cours en 1re et en terminale. Les bénéficiaires sont 14 % à réussir le concours, contre 9 % en moyenne pour les autres candidats.
Dispositif d’égalité des chances
Les membres du Réseau ScPo réservent 10 % des places du concours commun à des bacheliers mention « très bien » évalués sur dossier et aux candidats du Programme d’études intégrées (PEI), un dispositif commun d’égalité des chances. C’est ainsi que 3 300 élèves boursiers de la 3e à la terminale de toute la France, dont 1 400 terminales, peuvent avoir accès chaque année à une préparation spécifique en ligne alliant orientation, méthodologie et culture. Eux aussi enregistrent des résultats au concours supérieurs à la moyenne (entre 25 % et 30 % contre 7 % d’admis en moyenne, en postbac).
Avec ces efforts, la part de boursiers sur critères sociaux – un bon indicateur de la diversité – atteint 25 % à 40 %, selon les IEP. « A Aix-en-Provence, le PEI a eu un impact réel sur l’augmentation de notre taux de boursiers, qui tourne autour de 33 %, mais pas de manière démentielle », estime Adrien Vitse, responsable du programme à Sciences Po Aix. Un taux inférieur à la moyenne nationale (près de 38 % dans l’ensemble de l’enseignement supérieur), mais plus élevé qu’en école de commerce, par exemple. « Il est vrai que nous ne comptons pas assez d’enfants d’agriculteurs et d’ouvriers. Mais le PEI a permis d’ouvrir nos écoles, qui, il y a vingt-cinq ans, étaient la caricature de la reproduction des élites, au bas de la classe moyenne », insiste Céline Braconnier. C’est pour tenter d’intégrer des jeunes très défavorisés qu’Aix propose, depuis deux ans, un accès spécifique sur entretien aux meilleurs élèves de Saint-Exupéry, un lycée des quartiers nord de Marseille. Adrien Vitse y croit : « Au début, la marche est haute, mais les résultats de ces élèves sont spectaculaires. »