Argent et politique américaine : le réquisitoire pédagogique de la démocrate Alexandria Ocasio-Cortez
Argent et politique américaine : le réquisitoire pédagogique de la démocrate Alexandria Ocasio-Cortez
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Lors d’une intervention de cinq minutes, la représentante de l’Etat de New York a endossé de manière fictive les habits d’un « très sale type » pour prouver que le système de financement de la vie politique est « fondamentalement cassé ».
L’élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez lors de son discours à Washington, jeudi 7 février. / JONATHAN ERNST / REUTERS
Les démocrates de la Chambre des représentants ont l’ambition de faire adopter un projet de loi visant à mieux réguler la vie politique américaine, et notamment son financement. Intitulé « For The People Act », ce projet est purement symbolique. Le chef de la majorité républicaine du Sénat, Mitch McConnell (Kentucky) a en effet déjà fait savoir qu’il ne l’inscrirait pas à l’ordre du jour, et le président Donald Trump, dans l’hypothèse très improbable où le texte serait tout de même adopté par le Congrès, ne le signerait certainement pas.
Les débats qui entourent ce projet de loi ont néanmoins une valeur pédagogique. Mercredi 6 février, la benjamine de la Chambre, Alexandria Ocasio-Cortez (élue de l’Etat de New York), a ainsi apporté sa notoriété toute fraîche à l’occasion d’une audition, par la commission de la Chambre compétente, de membres d’organisations militant pour une plus grande régulation, ou au contraire pour sa totale suppression.
Au cours des cinq minutes réglementaires accordées à chaque intervention, Alexandria Ocasion-Cortez a endossé de manière fictive les habits d’un « très sale type ». « Ma campagne peut-elle être financée exclusivement par des groupes d’intérêts » liés par exemple au pétrole, ou aux grandes compagnies pharmaceutiques ? « Absolument », a répondu Karen Hobert-Flynn, de Common Cause, qui milite contre de telles pratiques.
« Admettons que je sois vraiment un très sale type, que j’ai des cadavres dans le placard que je veux couvrir pour être élu », poursuit la représentante. Elle interpelle Bradley Smith, qui dirige l’Institute for Free Speech, opposé, lui, au moindre encadrement au nom de la liberté d’expression. « Est-il exact que vous avez écrit cette tribune dans le Washington Post dans laquelle vous dites que les paiements à ces femmes étaient inconvenants mais pas illégaux ?», interroge-t-elle à propos de sommes versées pour empêcher des femmes de parler de relations extraconjugales qu’elles assurent avoir eu avec Donald Trump. Il acquiesce. « Feu vert pour l’achat de silence, je peux faire toutes sortes de choses horribles », poursuit Alexandria Ocasio-Cortez.
« Système fondamentalement cassé »
Elle se tourne à nouveau vers Karen Hobert-Flynn. Une fois élue, suis-je limitée de quelque manière que ce soit dans mon travail de législateur par les sources de mon financement de campagne, demande-t-elle. L’experte répond par la négative. Alexandria Ocasio-Cortez pousse son avantage. « Puis-je avoir des actions dans des entreprises et faire augmenter leur valeur en faisant adopter » des lois favorables à ces dernières, interroge-t-elle. Rudy Mehrbani, du Brennan Center, également favorable à un plus grand encadrement, répond par l’affirmative.
La représentante termine son intervention en questionnant cette fois-ci Walter Shaub, ancien directeur de l’Office of Government Ethics des Etats-Unis. « En ce qui concerne le cadre auquel je suis tenue en tant représentante, diriez-vous que c’est comparable avec le pouvoir exécutif, disons avec le président des Etats-Unis ? », demande-t-elle. « Il n’y a à peu près rien qui s’applique au président », répond-t-il. « Je peux être un super sale type de manière super légale, comme on vient de le voir, et c’est encore plus facile pour le président des Etats-Unis ? ». « C’est exact », estime Walter Shaub.
« Notre système est fondamentalement cassé », avait noté pendant sa démonstration la représentante, notant à l’attention des personnes auditionnées que ce système aboutit à ce que les groupes d’intérêts « soient présents » au sein de la commission de la Chambre et qu’« ils forgent les questions qui vous sont posées ».
Le projet de loi démocrate veut notamment lever l’anonymat dont peuvent aujourd’hui bénéficier certains donateurs, et rétablir les plafonds pour le financement de la vie politique supprimés par la Cour suprême en 2010 au nom de la liberté d’expression. Son avenir est plus qu’incertain, et la démonstration de la représentante d’Etat de New York n’a pas attiré l’attention des médias américains qui ont suivi avec plus de curiosité l’appui qu’elle a apporté, jeudi, à un « Green New Deal » en faveur de l’environnement. Il existe déjà une parade au poids de l’argent des grands groupes : la mobilisation d’armées de petits contributeurs grâce aux réseaux sociaux. Elle est en passe de devenir un critère d’éligibilité pour les candidats démocrates à l’investiture de 2020.
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