Procès Nemmouche : sur la piste des attentats de Bruxelles et Paris
Procès Nemmouche : sur la piste des attentats de Bruxelles et Paris
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
L’heure est au réquisitoire contre l’accusé de la tuerie du Musée juif.
Au procès de la tuerie du Musée juif de Bruxelles, où comparaissent les Français Mehdi Nemmouche et Nacer Bendrer, le 18 février. / DAINA LE LARDIC / AFP
Le procès de la tuerie du Musée juif de Belgique, le 24 mai 2014, devait entrer dans sa dernière phase, lundi 25 février, devant la cour d’assises de Bruxelles, où comparaissent les Français Mehdi Nemmouche et Nacer Bendrer. Les deux procureurs fédéraux vont livrer leur réquisitoire avant les plaidoiries des avocats des deux accusés : Nemmouche suspecté d’être l’auteur de l’attentat, qui a fait quatre morts, et son complice marseillais, qui lui aurait livré des armes.
Refusant toujours de s’expliquer, Mehdi Nemmouche a éprouvé son isolement durant les semaines d’audience. Aucun témoin de moralité ne s’est présenté à la barre : même sa grand-mère, qu’il voulait prétendument « protéger » n’a pas comparu. En 2016, elle avait déclaré qu’elle avait totalement coupé avec ce petit-fils qui, avait-elle alors déploré, « a sali notre nom ».
Durant de longues heures, les avocats des parties civiles ont, eux, tracé le portrait d’un homme radicalisé, violent, antisémite. Ils ont attaqué de front leurs deux confrères, Mes Henri Laquay et Sébastien Courtoy, défenseurs de l’accusé – absents la plupart du temps. « Une défense séditieuse, subversive, jetant l’anathème sur le système judiciaire », a fulminé Me Adrien Masset, l’avocat du Musée juif.
Eu égard à la quantité d’informations recueillies durant l’enquête menée de 2014 à 2018, la tâche des défenseurs paraît insurmontable, tant les indices contre leur client se sont accumulés. La thèse du « loup solitaire » qui avait, au départ, les faveurs de la justice belge, avant l’arrestation de Nemmouche à Marseille le 30 mai 2014, a été définitivement balayée à l’issue des débats.
Désormais, il est clair que l’attaque de Bruxelles se place dans un cadre plus vaste et semble bien avoir été le point de départ, le signal précurseur, des attentats de Paris, en 2015, et de Bruxelles, en 2016. La vidéo de revendication – dont Nemmouche nie être l’auteur – de la tuerie du musée, évoque d’ailleurs la mise « à feu et à sang » des deux capitales.
Vendredi 22 février, Me Michèle Hirsch, avocate du Comité de coordination des organisations juives de Belgique a conclu sa plaidoirie en se demandant « ce qui se serait passé » si Nemmouche était passé aux aveux après son arrestation. N’aurait-il pas permis d’éviter les dizaines de morts et les centaines de blessés des terrasses parisiennes, du Bataclan, de l’aéroport de Zaventem et du métro Maelbeek ?
Filière belge
Le dossier belge confirme les liens que le Roubaisien entretenait avec la filière responsable de ces attaques. L’un des indices déterminants est la découverte d’une conversation, dans un ordinateur abandonné par les auteurs des attentats de l’aéroport de Zaventem, le 22 mars 2016. Najim Laachraoui, l’un des artificiers du groupe, que Nemmouche côtoya en Syrie, y évoque l’idée de kidnapper une ou deux personnalités et de les échanger contre « certaines sœurs » et « des frères (…) comme Nemmouche et Bakkali ». Mohammed Bakkali a été mis en examen dans les enquêtes sur les attentats de Paris ainsi que celui, déjoué, dans le Thalys Amsterdam-Paris, le 21 août 2015.
Autres indices des liens de Nemmouche avec la filière belge : une longue conversation, à partir d’un portable turc dont le numéro lui est attribué – il l’emploiera aussi pour téléphoner à sa grand-mère – avec Abdelhamid Abaaoud, alias « Abou Omar ». A cette époque, le Molenbeekois, organisateur des attentats de Paris qui sera tué par la police le 18 novembre à Saint-Denis, est à Bruxelles. Les deux hommes se parlent durant vingt-quatre minutes, le 16 janvier 2014. A partir de ce jour, le site du Musée juif de Belgique sera consulté à de nombreuses reprises à partir de la Syrie. Il le sera aussi les 11 et 13 mars 2014, à partir de Hongkong, où séjourne Nemmouche, au détour d’un parcours complexe qui le mènera de la Turquie vers l’Allemagne, en passant par plusieurs pays asiatiques.
Pour les parties civiles, il n’y a pas de doute : Abaaoud a missionné Nemmouche pour frapper la seule institution juive de Bruxelles qui n’est pas protégée par la police. « L’accusé ne connaît pas Bruxelles, où il n’a transité qu’une fois en 2013 lors de son départ vers les zones de djihad. Pourquoi y loue-t-il une chambre, à Molenbeek, après six années de détention en France et quatorze mois passés en Syrie ? », interroge Me Hirsch.
Le procès a mis en lumière d’autres éléments. Cette étrange commande de vêtements que Nemmouche a adressée à l’un de ses amis vivant à la frontière franco-belge et qui sera acheminée vers la Syrie. Le tueur du Musée juif avait aux pieds des chaussures de sport semblables à celles achetées chez Decathlon.
Ou, enfin, cette confidence rapportée par l’un des gardiens de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy (Yvelines), où l’accusé séjourne en juillet 2014. Il riait qu’il y ait « quatre juifs en moins sur terre » et qu’ils soient repartis vers Israël, dans un cercueil », rapportera le surveillant. Nemmouche était sous les verrous mais, ajoutait-il, « tout ira bien tant qu’ils ne démantèleront pas la filière ».