L’avis du « Monde » – à voir

Il n’est pas assuré que Nicolas Wackerbarth entre en lice avec toutes les chances de son côté, dans une économie du cinéma qui nécessite désormais quelques titres de renommée ou de scandale liminaires pour espérer exister dans la jungle des sorties. Du cinéma d’auteur allemand, un réalisateur d’autant plus inconnu que son premier long-métrage (Halbschatten, 2013) n’a pas franchi la frontière, un sujet (le casting d’un téléfilm !) réservé aux initiés dès lors qu’il semble moins nourrir la nouvelle gaudriole en date qu’un exercice de style subtilement politique.

« Casting » ne cesse de tisser le lien avec « Les Larmes amères de ­Petra von Kant » (1972), de Rainer Werner Fassbinder, petit bijou maniériste

D’un autre côté, quelques signes tiendront du moins en éveil les cinéphiles. Le fait d’avoir croisé Nicolas Wackerbarth comme acteur, dans l’excellent Toni Erdmann, de Maren Ade, son implication dans Revolver, l’une des meilleures revues de cinéma allemande, enfin le lien que ne cesse de tisser Casting avec Les Larmes amères de ­Petra von Kant (1972), de Rainer Werner Fassbinder, petit bijou maniériste installant avec une implacable cruauté la lutte des classes dans un boudoir (une styliste de haute extraction tombe amoureuse d’une jeune prolétaire dont elle fait son mannequin vedette).

Soit, ici, Vera, réalisatrice indécise mais opiniâtre, qui cherche à pourvoir le rôle féminin principal d’un remake des Larmes amères de Petra von Kant pour le compte d’une chaîne de télévision allemande. Quatre candidates sont en lice, qu’elle met en concurrence en demandant à chacune de jouer une scène avec l’acteur principal. Or celui-ci tarde à se libérer d’une obligation qui le retient ailleurs. On demande donc à Ger­win, acteur entre deux âges plus habitué à l’ombre du chômage qu’aux lumières de la scène, de le remplacer au pied levé, le temps qu’il sera nécessaire.

Petit théâtre de la cruauté

Cette situation de départ contient en elle-même, tant du point de vue des rapports de pouvoir que des stratégies de séduction, une infinité de possibles, comme le démontre assez brillamment le film. Mises à mal dans leur orgueil, les actrices rivalisent d’inventivité pour complaire à la réalisatrice, à l’exception de celle que la chaîne voudrait lui imposer, qui refuse de se prêter au jeu. Vera doit par ailleurs rendre des comptes à son producteur, que son indécision met hors de lui. Quant à Ger­win, qui a su par sa modestie et son intelligence des situations se rendre indispensable, sa titulari­sation dans le rôle, consécutive au retrait de l’acteur principal, lui est promise par Vera, une fois ­convaincu qu’il peut endurer les humiliations nécessaires.

Rien, évidemment, ne se déroulera comme prévu dans ce petit théâtre de la cruauté, ou plutôt tout – et c’est évidemment le pire – se passera comme il était tacitement entendu que cela doive se passer, une fois digérés par l’appareil de production les humeurs des actrices, l’égoïsme raffiné de la réalisatrice, l’amertume de l’assistante-réalisatrice, et jusqu’au fol espoir de l’outsider d’intégrer enfin la sainte famille des artistes. Produit et tourné par et dans les studios d’une vraie chaîne de télévision, improvisé en grande partie, filmé en caméra rapprochée de l’autre côté du miroir, Casting démontre un goût de l’expérience artistique qui profite à son propos. Inventant son propre dispositif pour reconduire des questions qui furent celles de l’astre moderne du cinéma allemand, il se tient à la fois près et loin de Fassbinder, bonne manière de lui rendre les hommages qui lui sont dus.

Casting de Nicolas Wackerbarth en salles le 27 février 2019
Durée : 01:46

Film allemand de Nicolas Wackerbarth. Avec Andreas Lust, Judith Engel, Milena Dreissig, Nicole Marischka (1 h 28). Sur le Web : ascdistribution.com/project/casting