A Paris, la diaspora algérienne se met à l’unisson de la protestation
A Paris, la diaspora algérienne se met à l’unisson de la protestation
Par Ghalia Kadiri
Une manifestation contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika est prévue le 3 mars place de la République. Au sein de la communauté, les craintes d’un dérapage du mouvement existent néanmoins.
Ahmed, 24 ans, vendeur de cigarettes : « Les généraux et les fils des généraux algériens prennent l’argent. » / CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR "LE MONDE"
La question rhétorique revient souvent. « Où est passé l’argent du pétrole ? » Ali y répond par un grand geste de la main, pour montrer le paysage autour de lui : Paris, ses grands immeubles haussmanniens et ses appartements hors de prix. « Ici, assure-t-il, les ministres et les généraux algériens viennent s’acheter des biens sur le dos des pauvres malheureux restés au pays. » A 72 ans, cet ancien fonctionnaire de l’éducation nationale algérienne, qui passe sa retraite en France, ne veut plus entendre parler de la classe politique de son pays, « une bande de voleurs », accusée de s’enrichir et de laisser l’Algérie sans Etat.
Mais la contestation historique qui secoue le pays depuis plusieurs jours, déclenchée par la décision d’Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat, offre peut-être une lueur d’espoir sur le chemin de la démocratie. Pour la première fois depuis vingt ans, le peuple algérien a brisé les barrières de la peur en descendant dans les rues pour contester le système en place.
En France aussi, les Algériens ont dit « stop » au président fantôme âgé de 81 ans, au pouvoir depuis vingt ans et à la santé chancelante. Dimanche 24 février, deux jours après le début des manifestations pacifistes en Algérie, plusieurs centaines de personnes ont ainsi investi la place de la République, à Paris, pour protester contre la candidature de M. Bouteflika à l’élection du 18 avril. « Pouvoir assassin », « Système dégage », « Seul le mandat du peuple », étaient inscrits sur les pancartes brandies par les manifestants.
Ali, retraité de l’éducation nationale algérienne : « Mais où est passé l’argent du pétrole, je connais des ministres qui habitent Paris. Ils ont des biens qu’ils s’achètent sur le dos des pauvres malheureux. » / CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR "LE MONDE"
Un second rassemblement devrait avoir lieu dans la capitale le 3 mars, qui coïncide avec la date butoir pour le dépôt de candidature auprès du Conseil constitutionnel.
« L’élite politique ne lâchera jamais le pouvoir »
« J’irai à République dimanche », promet Oussama, un Algérien de 27 ans de passage au marché qui se déploie sous le métro Barbès-Rochechouart, au nord de la capitale. Il ira à toutes les manifestations jusqu’à ce que M. Bouteflika se retire. « On fera la guerre s’il le faut, ajoute le jeune homme. Mais c’est déjà la guerre ! En Algérie, il n’y a plus de travail, trop de corruption, on ne peut plus continuer comme ça. »
Oussama, touriste algérien venu de Bordj Bouaredj : « Si sa candidature est validée nous n’arrêterons pas de manifester. On ira jusqu’à la guerre s’il y a besoin. C’est au peuple de gouverner. » / CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR "LE MONDE"
Autour de ce marché réputé le moins cher de Paris, des « harragas », ces jeunes Algériens qui brûlent les frontières (harrag signifie « qui brûle ») pour immigrer en Europe, traînent dans la rue, vendent des cigarettes « et d’autres choses » parfois. Ils ont justement fui le chômage, la corruption et la cherté de la vie qui minent l’Algérie.
« Les généraux et les fils des généraux algériens prennent l’argent. L’Algérie est pleine de ressources. Il y a tout ce qu’il faut mais ils nous prennent tout et les jeunes n’ont rien », raconte Ahmed, 24 ans, arrivé en France par la mer il y a quatre ans, laissant sa famille à Constantine. Plus le temps avance, plus l’espoir de retour dans son pays natal recule.
« Aucun fils d’immigré ne remettra jamais les pieds en Algérie, rétorque Mohammed, un vieil homme originaire d’Alger. On aimerait bien rentrer chez nous. Mais il y a plus d’opportunité en France et quand on voit que l’élite politique ne lâchera jamais le pouvoir, comment espérer que le pays se redresse ? C’est navrant. Pourtant l’Algérie ne manque de rien, ce devrait être les Etats-Unis d’Afrique. »
« Qui pour remplacer Bouteflika ? »
D’autres résument l’Algérie par « une mafia avec un drapeau ». A peine arrivé, embarqué sur un Zodiac via la Libye et l’Italie, Hamid, 30 ans, ne croit pas au changement, ni au pouvoir des manifestations. « Ils vont enlever Bouteflika et quoi après ? On sait très bien que ce n’est pas lui qui gouverne de toute façon. Même si on coupe la tête de Bouteflika, d’autres pourris vont apparaître et cela ne réglera jamais le problème. »
Vue de France, la contestation fait beaucoup parler. Spectaculaire par son ampleur comme par ses slogans visant pour la première fois directement le chef de l’Etat et son entourage, elle divise aussi. « Je ne veux pas de printemps arabe dans mon pays. Je ne suis pas pour Bouteflika mais je ne veux pas que les choses dégénèrent », s’inquiète Sabrina, une Franco-Algérienne de 30 ans, mère de famille.
Sabrina, mère de famille : « Je ne veux pas de printemps arabe dans mon pays. Je ne suis pas pour Bouteflika mais je ne veux pas de manifestations. Même si elles sont pacifiques. Ca commence comme ça et ça dégénère. » / CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR "LE MONDE"
Sakhr Benhassine, auteur et traducteur franco-algérien, se méfie lui aussi des récents soulèvements. « Une manifestation, ce n’est jamais joyeux. C’est le symptôme d’un mal. Le peuple doit réagir au jour le jour plutôt qu’attendre que la situation pourrisse pour enfin sortir dans la rue. »
Reste à savoir si les alternatives à Abdelaziz Bouteflika sont crédibles, face à une opposition de plus en plus affaiblie. Yamina et Malika, qui sont arrivées d’Oran en 1979, sont sceptiques. « Bien sûr, on est heureuses de voir que la jeunesse se révolte. Mais quand on réfléchit bien, il n’y a personne qui ait un véritable projet », déplore, tracassée, Yamina, 67 ans, femme de ménage dans un hôpital parisien. « Qui pour remplacer Bouteflika ? », insiste-t-elle.
Bouteflika reste une figure de la révolution, très aimé
Fatim Zohra Benyasaad, elle, a son idée. « Son frère Saïd, par exemple !, lance la fleuriste à la retraite, en référence au frère cadet du chef de l’Etat, son proche conseiller. Bouteflika a fait des choses bien mais là, il doit se reposer. On devrait en trouver un autre comme lui. Il a tout donné pour l’Algérie. »
Car, malgré le ras-le-bol d’une partie de la population, M. Bouteflika reste une figure de la révolution, très aimé, en particulier des plus âgés pour qui le président a « ramené la paix » après la décennie noire.
Zohra, 63 ans, fleuriste à la retraite : « Bouteflika a fait des choses bien mais là, il doit se reposer. Il est âgé. Il faudrait que quelqu’un prenne le relais. Son frère Saïd par exemple. On devrait trouver un autre comme lui. Il a tout donné pour l’Algérie. » / CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR "LE MONDE"
Paradoxalement, Fatim Zohra compte bien aller à la prochaine manifestation à Paris. Ses enfants l’ont convaincue. Comme beaucoup de membres de la jeune génération, qui ne souffre pas des séquelles de la guerre civile ni du spectre de l’islamisme radical, ils veulent du changement. Et M. Bouteflika est le seul président qu’ils aient jamais connu.
En Algérie, les étudiants se mobilisent contre le candidat Bouteflika
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