Laura Codruta Kövesi, à Bucarest le 23 février. / Vadim Ghirda / AP

Editorial du « Monde ». Et si c’était elle ? Et si le premier Roumain à occuper un poste important dans l’Union européenne était une Roumaine ? Laura Codruta Kövesi est en lice pour diriger le tout nouveau parquet européen, qui doit voir le jour fin 2020. Pour la première fois de l’histoire de l’Union européenne, ce procureur aura le pouvoir de superviser des enquêtes sur les fraudes aux fonds européens ou à la TVA dans les 22 pays membres qui ont adhéré à cette initiative.

Cette petite révolution s’annonce politiquement sensible, quand on sait qu’au moins trois leaders européens ou des membres de leur entourage familial – Viktor Orban en Hongrie, Andrej Babis en République tchèque et Liviu Dragnea en Roumanie – sont actuellement impliqués dans des dossiers de fraude aux fonds européens. Tout cela dans des pays où la justice locale est parfois entravée – la Hongrie a d’ailleurs refusé d’adhérer au parquet européen.

La haine tenace du parti au pouvoir

Après un processus de sélection rigoureux, Mme Kövesi a été désignée, début février, par un comité d’experts, comme la candidate favorite pour le poste. A seulement 45 ans, sa carrière est impressionnante. Nommée procureure générale de Roumanie à 33 ans, en 2006, c’est surtout à partir de 2013, lorsqu’elle est nommée chef du parquet anticorruption local, qu’elle fait parler d’elle. Dans un pays gangrené par la corruption, elle fait condamner à des peines de prison ferme des centaines de responsables politiques de tout niveau, y compris un ancien premier ministre.

Dans son sillage, une génération entière de jeunes procureurs va réussir à faire reculer un fléau national. Après des années d’impunité, les politiques prennent peur face aux lourdes peines prévues par le code pénal roumain. En retour, Mme Kövesi s’est attiré la haine tenace du Parti social-démocrate au pouvoir. Son chef, Liviu Dragnea, condamné pour fraude électorale et détournement de fonds publics, mis en examen pour fraude aux fonds européens et contraint de renoncer au poste de premier ministre, arrive même à obtenir son limogeage, en juillet 2018. Malgré sa popularité, la procureure est obligée de plier. Mais elle a prouvé sa capacité de résistance en obtenant le soutien des eurodéputés, mercredi 27 février.

Face à elle, un procureur français est également candidat, Jean-François Bohnert, à l’expérience et à l’engagement européen indéniables. Il est polyglotte, quand Laura Kövesi parle un anglais hésitant. Il est familier des institutions européennes, quand sa concurrente connaît surtout le système judiciaire roumain. Il est prudent et mesuré, quand Mme Kövesi se laisse parfois emporter à des commentaires excessifs. Il est fortement soutenu par la diplomatie française, quand elle fait l’objet d’une campagne de dénigrement efficace de la part de son propre gouvernement.

Mais, à l’heure où l’on observe une dérive préoccupante dans plusieurs pays d’Europe centrale, le futur procureur européen aura pour tâche principale de surveiller les conditions d’utilisation des fonds européens dont bénéficient largement ces pays : éviter qu’ils ne soient détournés de leur destination initiale ou finissent par enrichir des responsables dont les partis s’emploient à saper l’UE. La valeur politique de ce poste judiciaire est donc importante. Une procureure venue de l’ex-Europe communiste, appuyée par une équipe composée de juristes compétents, irréprochables et recrutés parmi les 22 Etats membres, serait un symbole fort de l’attachement de l’UE à l’Etat de droit.