« Cette France qui n’attendait pas Macron » : à la rencontre des « Gaulois en colère »
« Cette France qui n’attendait pas Macron » : à la rencontre des « Gaulois en colère »
Par Patrick Roger
Ludivine Tomasi est allée dans l’Aisne, où le chômage, la pauvreté et le vote pour les Le Pen battent des records.
Manifestation de « gilets jaunes » en Picardie, fin 2018. / UPSIDE TELEVISION / LCP
A l’origine du projet, il y a une interrogation : « Et si j’étais en train de vivre la révolution de ma génération ? » Ludivine Tomasi, jeune journaliste, présentatrice et réalisatrice de l’émission « En voiture, citoyens ! » sur LCP, s’est lancée sur les routes picardes de l’Aisne, dans ce département où le chômage, la pauvreté, l’illettrisme et le vote pour les Le Pen père et fille battent des records. A la rencontre de ces « Gaulois en colère » qui ont revêtu des gilets jaunes pour manifester, mais aussi de ces « invisibles » chez qui l’espoir est fragile, qui sont parfois au bord du précipice ou qui n’attendent plus rien de ceux qu’ils n’ont pas élus – quand ils votent encore.
Avec une empathie qui est sa marque de fabrique, elle a tendu son micro à ces « oubliés de la Macronie ». « On est loin, très loin de la terre promise par Emmanuel Macron, celle des start-upeurs et des youtubeurs », lâche-t-elle. Très loin, effectivement, Dédé, le « roi de la casse », 65 ans, électeur des Le Pen « depuis trente ans », partisan de « la France aux Français », mais aux Français blancs. « Qu’est-ce que tu dirais, toi, si ta fille se mariait avec un Noir ? », demande-t-il.
Jean-Pierre, 58 ans, agriculteur, est aussi un électeur de Le Pen. Son ennemi à lui, c’est l’Europe, malgré les aides de 15 000 euros qu’il perçoit chaque année des fonds européens. Pour cent heures de travail par semaine, sept jours sur sept, il parvient à peine à un salaire mensuel de 980 euros. « Nous, on n’a pas le droit d’être malade. On marche ou on crève », constate-t-il. « On vit au quotidien pour se battre, en gérant le stress. Les gens comme nous, on ne s’en occupe pas », approuve Valérie, son épouse, qui compte au centime près quand elle va faire les courses. Jean-Pierre en est convaincu : « Macron, c’est pas lui qui dirige. Il est dirigé par des financiers. » Alors, non, il n’en attend rien.
Jordan, 21 ans, vit chez ses parents et touche 500 euros par mois grâce à la garantie jeunes (une mesure d’accompagnement des 16-25 ans en situation de grande précarité). Il passe plusieurs heures par jour sur des jeux, sa réalité virtuelle, et s’informe notamment grâce à la chaîne Jasper Mader, qui diffuse sans vergogne des thèses complotistes et conspirationnistes sur YouTube, largement popularisées chez les « gilets jaunes ». Pour lui, les choses sont claires : « Emmanuel Macron, il ne respecte pas son peuple. » S’il a voté pour Marine Le Pen à la dernière présidentielle, il n’exclut pas, en 2022, de voter pour Jean-Luc Mélenchon.
« Pas du tout représentée »
Poursuivant son périple picard, Ludivine Tomasi fait escale à l’établissement public de santé mentale de Prémontré, cette branche psychiatrique qui est l’oubliée des politiques de santé publique. Véronique, 50 ans, éducatrice spécialisée, a déjà fait un burn-out. « On s’aperçoit parfois qu’on ne peut pas aider parce qu’il faut aussi se faire aider », décrit-elle. Elle non plus ne se sent « pas du tout représentée » par Emmanuel Macron et elle appelle à « un changement de fond ».
Quant à Olivier et Aurélie, ils vivent avec 3 000 euros par mois avec deux jeunes enfants dans leur maison avec potager près de Soissons. Lui est père au foyer, elle travaille à Paris. Ils estiment « qu’il ne faut rien attendre des politiques, qu’il faut se prendre en main ». Au final, une vision désespérante et désespérée de « cette France qui n’attendait pas Macron ».
Cette France qui n’attendait pas Macron, de Ludivine Tomasi (Fr., 2019, 52 min). www.lcp.fr/emissions/cette-france-qui-nattendait-pas-macron