« Ma vie avec John F. Donovan » : Xavier Dolan ressasse ses obsessions
« Ma vie avec John F. Donovan » : Xavier Dolan ressasse ses obsessions
Par Murielle Joudet
Le film du cinéaste canadien, non dénué de charme, souffre d’un scénario bâclé.
Prêt pour Cannes en mai 2018 et finalement présenté au Festival de Toronto quelques mois plus tard, en septembre, Ma vie avec John F. Donovan n’a trouvé le chemin des salles qu’après un long travail de remontage qui a longtemps retardé sa sortie et fait s’impatienter les fans de Xavier Dolan. Le cinéaste s’est sans doute retrouvé à devoir extirper d’un film une matière en excès : la version finale a ainsi été expurgée de toutes les scènes tournées avec l’actrice américaine Jessica Chastain, qui devait pourtant en être la tête d’affiche. Ce laborieux travail de refonte marque le film, qui semble en contenir deux ou trois autres et que Dolan tente de faire cohabiter à l’intérieur d’une structure démantibulée.
Rupert Turner (interprété par Jacob Tremblay puis Ben Schnetzer) est un jeune acteur qui vient de publier la correspondance qu’il a entretenue enfant avec la star d’une série télévisée américaine, John F. Donovan, dix ans après la mort de celui-ci. La vie de ces deux personnages s’égrène par une suite de flash-back enclenchés par le récit que Rupert Turner livre à une journaliste venue l’interviewer. Habituée à couvrir les conflits politiques, la reporter se voit contrainte de s’entretenir avec l’acteur et se montre peu amène face à une histoire qui lui paraît a priori puérile et sans intérêt. A travers la figure de cette journaliste, superbement incarnée par l’actrice Thandie Newton, Dolan semble donner un visage aux nombreux détracteurs de son cinéma si ce n’est de sa personne.
Alter ego idéalisé
Si la journaliste tombe progressivement sous le charme de Rupert Turner, il en ira peut-être autrement pour le spectateur. Les fans, eux, auront l’impression d’assister à un medley de toute la filmographie de Dolan. On retrouve les coulisses d’un tournage et la structure en flash-back de Laurence Anyways, les discussions dans une voiture sous une pluie battante, les relations mère-fils passionnelles et le juke-box de chansons pop. Ma vie avec John F. Donovan se nourrit également d’une matière biographique à peine voilée où l’on découvre un cinéaste s’attendrissant sur différentes versions fictionnelles de lui-même.
C’est lui qu’on devine sous les traits de Rupert Turner, car le cinéaste a lui aussi été un enfant-acteur, et l’anecdote veut qu’à 8 ans il adressa une lettre restée sans réponse à Leonardo DiCaprio. C’est encore lui qui semble se cacher derrière John F. Donovan, star de la télévision peu à l’aise avec sa notoriété et contraint de dissimuler son homosexualité pour ne pas ébrécher son image publique – le personnage figure en cela une sorte d’alter ego idéalisé.
Il n’y aurait qu’à fusionner cet enfant surdoué légèrement tête à claques et cet acteur torturé pour obtenir le portrait-robot du cinéaste. Bien loin de s’ouvrir à d’autres horizons, Dolan se recroqueville une nouvelle fois sur ses thèmes fétiches et témoigne d’un désir de régression pleinement assumé. Régression vers un narcissisme primaire, vers l’époque bénie des séries télévisées des années 1990, vers la pop sirupeuse, mais aussi, et surtout, vers l’amour maternel à qui Dolan offre ici une scène de retrouvailles sous la pluie digne d’une comédie romantique.
Mais à trop vouloir construire ses scènes comme des cocons où il fait bon vivre, le cinéaste néglige le souffle narratif qui viendrait rendre ces moments solidaires les uns des autres, et c’est là le défaut le plus criant. Dolan semble vouloir briller sur tous les tableaux, l’intime et la fresque, et finit par bâcler les deux. Au final, les circonvolutions narratives du récit s’épuisent à cacher son thème essentiel, une image lancinante, plus vraie que les autres et qui s’enroule dans la trame de tous ses films : celle des mères ordinaires et sublimes qu’incarnent Natalie Portman et Susan Sarandon. C’est sur ce registre presque infantile que Ma vie avec John F. Donovan révèle finalement ses charmes, en donnant l’occasion à son spectateur de fouiller la chambre d’un cinéaste-adolescent.
Ma Vie Avec John F. Donovan de Xavier Dolan - Bande-annonce VOST
Durée : 02:47
Film canadien de Xavier Dolan. Avec Kit Harington, Jacob Tremblay, Natalie Portman (2 h 03). Sur le Web : www.marsfilms.com/film/ma_vie_avec_john_f_donovan
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 13 mars)
- Convoi exceptionnel, film français de Bertrand Blier (à voir)
- Depuis Mediapart, documentaire français de Naruna Kaplan de Macedo (à voir)
- Ma vie avec John F. Donovan, film canadien de Xavier Dolan (à voir)
- McQueen, documentaire britannique de Ian Bonhôte et Peter Ettedgui (à voir)
- Meltem, film français et grec de Basile Doganis (à voir)
- Rosie Davis, film irlandais de Paddy Breathnach (à voir)
- Teret, film serbe d’Ogjen Glavonic (à voir)
- Wall, film israélien de Moran Ifergan (à voir)
- We the Animals, film américain de Jeremiah Zagar (à voir)
- Dragon Ball Super : Broly, film d’animation japonais de Tatsuya Nagamine (pourquoi pas)
- Lune de miel, film roumain d’Ioana Uricaru (pourquoi pas)
- Mon bébé, film français de Liza Azuelos (pourquoi pas)
- Les Témoins de Lendsdorf, film israélien d’Amichai Greenberg (pourquoi pas)
A l’affiche également :
- Aïlo, une odyssée en Laponie, film d’animation français de Guillaume Maidatchevsky
- Pau, film français de Maxim Bouffard et Alexandre Leter
- La Petite Fabrique de nuages, programme de cinq courts-métrages d’animation de Gildardo Santoyo del Castillo, Vladislav Bayramgulov, Mark C. Smith, Ilenia Cotardo et Marco Nick
- Rebelles, film français d’Allan Mauduit
- Un lien qui nous élève, documentaire français d’Oliver Dickinson