Attaque terroriste en Nouvelle-Zélande : ce que contient le « manifeste » rédigé par le suspect
Attaque terroriste en Nouvelle-Zélande : ce que contient le « manifeste » rédigé par le suspect
Par Lucie Soullier
Dans un document de 74 pages, l’Australien de 28 ans explicite ses motivations terroristes, inspirées du Norvégien Anders Breivik, auteur d’une tuerie massive en 2011.
Un « homme blanc normal, venant d’une famille normale », obsédé par ce qu’il qualifie de « génocide blanc » perpétré par des « envahisseurs ». Voilà comment se présente, dans un « manifeste » de 74 pages, le suspect de l’attentat islamophobe qui a fait au moins 49 morts et 20 blessés graves, vendredi 15 mars, dans deux mosquées de la ville néo-zélandaise de Christchurch.
Dans ce document didactique très référencé présenté sous forme de questions-réponses, l’Australien de 28 ans explicite ses motivations terroristes, inspirées du Norvégien Anders Breivik, auteur d’une tuerie ayant causé la mort de 77 personnes en 2011. Il y dévoile une idéologie hybride, mêlant suprémacisme, racialisme, ethno-nationalisme, éco-fascisme… « On y trouve tous les symptômes [de la radicalité d’extrême droite], même les facultatifs », résume l’historien spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg.
Un symbole radical donne le ton : le soleil noir, qui trône en couverture. Le même que celui tracé par Himmler sur le sol du château de Wewelsburg, quartier général de la SS en Westphalie allemande, et devenue une référence très courante dans les milieux néonazis.
Couverture du manifeste de l’Australien suspecté d’avoir commis l’attentat en Nouvelle-Zélande.
Un appel à la guerre civile
D’emblée, le directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès, Jean-Yves Camus, a été frappé par « le caractère machiavélique de sa présentation » et le choix « réfléchi et pervers » du lieu de l’attentat. « Il veut montrer qu’il n’existe aucun endroit sur terre qui échappe au “grand remplacement”, donc il choisit le symbole même du bout du monde pour montrer à quel point le processus de submersion migratoire qu’il décrit est avancé. »
Le terroriste présumé ne s’en cache d’ailleurs pas dans son propre manifeste : « Un attentat en Nouvelle-Zélande attirerait l’attention sur la vérité de l’assaut contre notre civilisation, que nulle partie du monde n’est en sécurité, les envahisseurs se trouvant dans tous nos pays, même dans les régions les plus reculées du monde. » Et les plus radicaux ont bien compris la démarche. Daniel Conversano, Youtubeur français se présentant lui-même comme « facho décomplexé », a ainsi réagi à l’attaque meurtrière par ce message sur Twitter : « Saviez-vous qu’il y a des mosquées jusqu’en Nouvelle-Zélande ? On me l’a appris ce matin. »
Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile, vous pouvez le consulter sur le site web
Outre attiser un sentiment d’insécurité et de terreur, l’auteur du manifeste avance l’autre – et certainement la principale – ambition de son geste : créer un effet d’entraînement et donc, provoquer la guerre civile. Soit exactement le scénario évoqué et craint par Patrick Calvar, l’ancien patron français de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Devant les députés de la commission défense, en 2016, il expliquait ainsi que « les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultradroite qui n’attend que la confrontation ». Il était même allé jusqu’à affirmer devant les députés de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 13-Novembre, la même année, que la France était « au bord d’une guerre civile ».
Les motivations du suspect australien viennent valider ses inquiétudes quant aux objectifs du terrorisme d’extrême droite. Son passage à l’acte a en effet pour but, selon ses propres mots, « d’inciter à la violence, aux représailles et au clivage entre le peuple européen et les envahisseurs qui occupent actuellement le sol européen », et de « montrer l’effet de l’action directe, éclairant la voie à suivre pour ceux qui souhaitent suivre ».
Tout au long des 74 pages de sa profession de foi raciste et ultraviolente, il appelle notamment en lettres majuscules à « combattre » les « envahisseurs », entendus comme les non-blancs, à « tuer votre PDG local anti-blanc » et menace à de nombreuses reprises les immigrés, comme dans cette brutale adresse aux « Turcs » : « Fuyez sur vos propres terres, tant que vous en avez encore la possibilité. »
Discours nativiste et « grand remplacement »
Le discours nativiste anglo-saxon mettant en avant la nécessité de préserver la population blanche « Whasp » irrigue l’ensemble du manifeste, et ce dès les premiers mots de l’introduction, répétés comme une prière : « Ce sont les taux de natalité. Ce sont les taux de natalité. C’est les taux de natalité. »
Cette harangue nativiste combinée à sa haine du « melting-pot » le conduit à réaffirmer sans cesse son combat contre ce qu’il nomme le « génocide blanc ». Dès le titre, l’extrémiste se réfère donc à la théorie du « grand remplacement », très populaire à l’extrême droite, qui imagine la substitution des « peuples européens » dits « de souche » par l’immigration. Une théorie partagée par le terroriste présumé de Christchurch, qui en ressasse de nombreuses définitions tout au long des 74 pages. « La crise de l’immigration de masse et la fécondité des remplaçants est une attaque contre le peuple européen qui, si elle n’est pas combattue, aboutira au final au remplacement racial et culturel complet du peuple européen », affirme-t-il dans son document.
Et l’extrémiste australien s’appuie en grande partie sur un pays, exemple selon lui de ce « grand remplacement » en marche : la France.
La place de la France
Il explique en effet avoir traversé en « touriste » une partie du pays, et avoir tiré des paysages français l’un des « déclics » de son passage à l’acte. « Dans chaque ville française, dans chaque village français, les envahisseurs étaient là », assène-t-il. Dans son esprit, la France fait déjà figure de « pays occupé », « envahi par les non-blancs » et la « farce des solutions politiques proposées » aurait fini de le convaincre qu’un attentat en Nouvelle-Zélande serait donc la solution.
Le terroriste présumé évoque en effet un deuxième événement déclencheur dans son basculement : l’élection présidentielle en France en 2017, et surtout son duel du second tour. Il y décrit Emmanuel Macron comme un « mondialiste, capitaliste, égalitariste, un ex-banquier d’investissement sans autre aucune conviction nationale que la recherche du profit ». Sans avoir davantage de respect pour Marine Le Pen et son parti – « complètement incapable de créer un réel changement et sans aucun plan viable pour sauver leur nation » – il confesse toutefois avoir mis quelques espoirs dans la victoire de ce qu’il qualifie de camp « quasi nationaliste » et perdu sa « foi en une solution démocratique » lorsque « l’internationaliste, globaliste anti-blanc, ex-banquier a gagné ».
Suprémaciste, séparatiste, affirmationniste blanc
Sans nul doute, ce manifeste est celui d’un « affirmationniste blanc » pour qui « la question centrale est d’empêcher le métissage racial », peut-être même davantage que d’affirmer la supériorité de la « race » blanche, selon l’historien Nicolas Lebourg.
Les codes désormais mondialisés du suprémacisme blanc n’y sont toutefois pas absents. L’auteur inscrit ainsi à plusieurs reprises la devise des 14 mots du néonazi américain David Lane, tirée de son « Manifeste du génocide blanc » : « Nous devons assurer l’existence de notre race et un futur pour les enfants blancs. »
Se définissant comme « principalement ethno-nationaliste », il revendique même son racisme dans plusieurs formules limpides : « Je crois que les différences raciales existent entre les peuples » ; « Il y avait une composante raciale à l’attaque. »
Fascisme et/ou nazisme
S’il se réclame également du fascisme – et même de « l’éco-fascisme » – le terroriste présumé refuse d’être qualifié de « nazi ». « Les nazis actuels n’existent pas », assure-t-il, préférant brandir Oswald Mosley, figure fasciste britannique, comme « personne de l’histoire la plus proche de (s)es croyances ».
Stéphane François, historien spécialiste de l’extrême droite radicale et chercheur associé au Groupe sociétés, religions, laïcités (CNRS, EPHE, PSL) nuance : « La grande difficulté pour ces milieux est d’opter pour un discours radical tout en évitant l’appellation infamante de nazisme. Mais avec son soleil noir, son discours nativiste, sa composante écologique… Quoiqu’il en dise, son discours reprend des éléments néonazis sans aller “jusqu’au bout” », c’est-à-dire sans la dimension antisémite, centrale dans le nazisme.
Alors « antisémite » ? « Non », répond-t-il à sa propre question. Du moins, encore une fois, tant que chacun reste « chez soi ». Car après avoir affirmé qu’un « juif vivant en Israël » n’était pas son « ennemi », l’extrémiste australien précise promptement : « tant qu’il ne cherche pas à subvertir ou à nuire à mon peuple. » Un « peuple » européen, blanc et chrétien.
La Nouvelle-Zélande sous le choc après un attentat d'extrême droite contre deux mosquées
Durée : 02:08