« Triple Frontière » : un commando dans l’enfer (du billet) vert
« Triple Frontière » : un commando dans l’enfer (du billet) vert
Proposé sur Netflix, le film à grand spectacle de J.C.Chandor met en scène un quintette d’anciens des forces spéciales américaines en se contentant de la demi-mesure.
Ben Affleck joue un père de famille à la dérive, accroché au souvenir de sa gloire militaire dans « Triple Frontière ».
Au commencement était un film de Kathryn Bigelow avec Tom Hanks, financé par la Paramount. Les tribulations de Triple Frontière, en chantier depuis 2010, pourraient servir de cas d’école aux historiens de Hollywood, de la défection d’une superstar qui n’en était plus une à celle du studio qui s’est retiré quelques semaines avant la date prévue pour le début du tournage. Netflix s’est fait chevalier blanc, et c’est sur la plateforme qu’on découvrira ce film à grand spectacle, qui a passé une petite semaine dans les salles américaines.
On ne sait quelle part tient cette genèse tourmentée dans l’impression de banalité qui prévaut souvent au fil des aventures sud-américaines d’un quintette d’anciens des forces spéciales américaines. Quels compromis ont été passés pour qu’un scénariste comme Mark Boal (Démineurs, Zero Dark Thirty, Detroit) et un metteur en scène comme Chandor (Margin Call, All Is Lost, A Most Violent Year) se contentent de demi-mesures quand tout – le budget, la distribution, l’idée centrale du scénario – appelle la démesure. Reste un divertissement élaboré par des gens d’une compétence irréprochable, traversé de temps en temps par des éclairs d’inspiration.
Des Pic de la Mirandole modernes
Lorsque Santiago Pope Garcia (Oscar Isaac), ancien des forces spéciales, aujourd’hui conseiller des unités antidrogue de la police colombienne, apprend la longitude et la latitude de la planque amazonienne du plus gros narcotrafiquant de la région, il entreprend de réunir une équipe. Il procède selon des critères qui sont à la fois ceux d’un guerrier couturé de cicatrices et d’un manager de boys band : le résultat de sa quête lui permet de réunir des Pic de la Mirandole de la guerre moderne (tir de précision, explosifs, combat rapproché, survie en milieu hostile, maîtrise de plusieurs langues, bonne connaissance de la narco-économie, etc.) qui se trouvent être de beaux garçons puisque interprétés par Ben Affleck, Charlie Hunman, Garrett Hedlund et Pedro Pascal.
Leur mission, puisqu’ils l’ont acceptée, consiste en l’exécution du seul parrain (on se contentera d’assommer les gardes du corps) et en la confiscation de sa fortune, détenue en numéraire (il ne fait plus confiance aux banques, c’est amusant de la part du réalisateur de Margin Call, fiction tirée de la faillite de Lehman Brothers), à des fins privées. La première moitié du film, occupée par les préparatifs fait craindre le pire. Les caractères sont à peine esquissés, les obstacles à franchir aussi prévisibles que ceux d’un 3 000 m steeple.
Un reître sans scrupule
Heureusement, le coup prend une tournure inattendue. La dévoiler serait cruel, ne pas le faire empêche de dire le bien que l’on pense de cette semi-réussite : attention donc à ce qui va suivre. La fortune du baron colombien excède de très loin les attentes des voleurs. Elle est dissimulée selon une variante amusante de la lessiveuse, et – une fois récupérée – se révèle d’un transport difficile (les bandits d’honneur ont prévu de traverser les Andes par la voie des airs). Surtout, elle a sur les personnages un effet délétère qui fissure la cohésion du groupe.
J.C. Chandor est un cinéaste bien trop intelligent pour ne pas prendre en compte la réalité qui correspond à sa fiction : l’irruption d’un groupe de gringos dans une affaire latino-américaine. La meilleure séquence du film met aux prises le commando avec un village de cultivateurs de coca. Mais la mutation du personnage que joue Ben Affleck, père de famille à la dérive accroché au souvenir de sa gloire militaire que la vue d’un tas (un très gros tas, certes) de billets transforme en reître sans scrupule ne tient pas ses promesses et les soldats perdus redeviennent vite de chics types qui se sont mis dans une sale situation. Le soin mis à tourner dans des décors adéquats, à découper les séquences de combat avec élégance, n’est pas un antidote assez puissant pour que Triple Frontière passe celle qui sépare l’anodin du fabuleux.
Triple frontière | Bande-annonce officielle 2 [HD] | Netflix
Durée : 02:38
Film américain de J.C. Chandor, avec Ben Affleck, Oscar Isaac, Charlie Hunman, Garrett Hedlund, Pedro Pascal (2 h 05), sur Netflix