« Boy Erased » : un ado gay face au puritanisme
« Boy Erased » : un ado gay face au puritanisme
Par Véronique Cauhapé
Le réalisateur Joel Edgerton propose une plongée terrifiante dans un centre qui « guérit » l’homosexualité.
L’acteur australien Joel Edgerton est passé derrière la caméra en 2015, pour The Gift, thriller inquiétant, judicieusement orchestré autour d’un couple harcelé par un ami d’enfance aux intentions, en apparence, bienveillantes. Le film était sorti en salle aux Etats-Unis et dans plusieurs pays du monde, mais pas en France, où les spectateurs ont pu le découvrir sur Netflix. Pour son deuxième long-métrage, Boy Erased, Joel Edgerton est parti d’une histoire vraie qui, si elle n’entretient aucun suspense, contient elle aussi quelque chose de terrifiant.
Adapté du roman autobiographique de Garrard Conley, Boy Erased. A Memoir, le film retrace l’itinéraire d’un garçon de 19 ans, Jared (Lucas Hedge), que son père (Russell Crowe) – pasteur baptiste ultraconservateur – et sa mère (Nicole Kidman) envoient suivre une thérapie afin qu’il puisse « guérir » de son homosexualité.
Nous sommes en Arkansas, aux Etats-Unis, où la pratique demeure courante. Dans le film, les jeunes, pétris d’éducation religieuse et de culture puritaine, s’y plient parfois avec une bonne volonté qui interroge. Certains, au contraire, tentent une rébellion vite matée par les « soignants » chargés de les faire changer d’orientation sexuelle. D’autres enfin, comme Jared, doutent, ne sachant pas encore tout à fait qui ils sont. Pour tous, l’expérience est violente, traumatisante, décrite comme telle par Garrard Conley dans son livre et portée à l’image, de la même façon, par Joel Edgerton dans son film, qu’un courant insidieux traverse dès les premières séquences.
Violence invisible
Car on sent bien que quelque chose de louche se trame dans cette famille aimante où les parents accueillent sans cris ni effondrement l’annonce de l’homosexualité de leur fiston. Et puis décident, sous couvert d’une affection attentive (et sincère), d’envoyer leur progéniture dans un centre de conversion. Au centre aussi semble régner la bonté. En particulier dans les groupes de parole qui s’organisent entre prières et sermons. Nulle violence dans les moyens employés ni dans les mots que renvoie le « guérisseur » chargé de les remettre sur le « droit chemin ». Et pourtant, elle est présente, en sourdine, tapie dans l’indécence dont relève l’exercice, qui oblige les adolescents à livrer leur intimité, et dans la difficulté qu’ils éprouvent à se raconter.
Alors que s’installe ce climat d’une perversité d’autant plus efficace qu’elle s’exerce avec douceur s’opèrent des retours en arrière qui nous éclairent sur le parcours de Jared : les premiers troubles ressentis face aux garçons, son viol par un étudiant, sa première rencontre amoureuse. Ces étapes – souvenirs que la « thérapie » encourage à se remémorer et à énoncer – conduisent le jeune garçon à une prise de conscience dont le résultat est à l’opposé de celui que son entourage attend de lui. Il ne changera pas, aux autres en revanche de modifier le regard qu’ils portent sur lui.
Ce chemin, dans le film, s’effectue tandis qu’autour la violence invisible agit, entraînant certains à l’effondrement, ou au suicide. Au sein de ce mouvement contraire, les parents de Jared demeurent longtemps pris entre deux feux, les principes et le bonheur de leur fils. Dans cette hésitation, Nicole Kidman fait évoluer son personnage avec un raffinement que ne laisse pas soupçonner son allure de bigote. Elle n’en est que plus surprenante. Et malgré quelques facilités scénaristiques et effets démonstratifs qui insistent sur les bons sentiments, le film parvient à entretenir une tension plus subtile que ne laissent entrevoir, au premier abord, sa mise en scène et son esthétique plutôt convenues.
Dénonciateur des thérapies de conversion, Boy Erased ne sortira pas au Brésil, selon une décision prise par le distributeur Universal Pictures après l’élection à la présidence de la République de Jair Bolsonaro, ouvertement contre l’homosexualité. Au grand dam de la communauté brésilienne LGBT, qui comptait s’appuyer sur ce film pour défendre ses droits et sensibiliser à sa cause.
Boy Erased / Bande-annonce VOST [Au cinéma le 27 mars]
Durée : 02:28
Film américain de Joel Edgerton. Avec Lucas Hedge, Nicole Kidman, Russell Crowe (1 h 55). Sur le Web : www.universalpictures.fr/micro/boy-erased
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 27 mars)
- La Flor – partie 3, film argentin de Mariano Llinas (à ne pas manquer)
- Synonymes, film français de Nadav Lapid (à ne pas manquer)
- Boy Erased, film américain de Joel Edgerton (à voir)
- C’est ça l’amour, film français de Claire Burger (à voir)
- Dumbo, film américain de Tim Burton (à voir)
- Still Recording, documentaire syrien de Saaed Al Batal et Ghiath Ayoub (à voir)
- Styx, film allemand et autrichien de Wolfgang Fischer (à voir)
- Companeros, film argentin, français, espagnol et uruguayen d’Alvaro Brechner (pourquoi pas)
- Gentlemen cambrioleurs, film britannique de James Marsh (pourquoi pas)
- Heart of a Dog, documentaire américain de Laurie Anderson (pourquoi pas)
- Mon meilleur ami, film argentin de Martin Deus (pourquoi pas)
- Sergio et Sergeï, film cubain d’Ernesto Dalanas (pourquoi pas)
A l’affiche également
- D’Agata-Limite(s), documentaire français de Franck Landron
- La Cacophonie du Donbass, documentaire ukrainien d’Igor Minaev
- Let’s Dance, film français de Ladislas Chollat
- L’Orphelinat, documentaire français de Matthieu Haag
- Mon frère s’appelle Robert et c’est un idiot, film français et allemand de Philip Gröning