Le parc locatif privé bousculé par l’essor des locations meublées
Le parc locatif privé bousculé par l’essor des locations meublées
Par Isabelle Rey-Lefebvre
Les loyers des locations traditionnelles augmentent moins vite que l’inflation, selon les chiffres publiés par l’observatoire Clameur, mardi 26 mars.
Les baux d’habitation vont-ils, comme les contrats de travail, devenir de plus en plus courts ? C’est la tendance à l’œuvre dans le parc locatif privé. Parmi les 6,5 millions de logements, on compte ainsi une proportion grandissante de loués meublés, pour des durées comprises entre neuf et douze mois, très loin des trois ou six ans du contrat classique, défini par la loi Méhaignerie. Ces baux (1,7 million de contrats signés chaque année) longs sont pourtant essentiels, dans ce parc privé où le taux de rotation s’élève chaque année à 30 %, soit trois fois plus que dans le parc social.
Les contrats traditionnels sont bousculés depuis 2015 par des mutations sociales profondes, à commencer par la paupérisation des locataires, qui contraint les bailleurs à modérer les loyers ou à chercher d’autres voies plus rémunératrices. Selon l’étude publiée mardi 26 mars par l’observatoire Clameur, qui agrège les données de 28 propriétaires institutionnels et administrateurs de biens, les loyers n’augmentent plus, ou très peu, à peine 1,4 % en 2018, loin des 4 % des années 2000-2007. Cette augmentation est inférieure à l’inflation (1,8 %).
« Depuis 2007, les loyers des nouveaux baux conclus chaque année augmentent moins vite que les prix à la consommation, résume Michel Mouillart, économiste du logement pour Clameur. La perte de pouvoir d’achat des propriétaires est de 2,5 %, sans compter la hausse des prélèvements fiscaux et des taxes. »
Parmi les vingt plus grandes villes de plus de 148 000 habitants, neuf ont connu des augmentations au-delà de l’inflation, telles Villeurbanne, dans le Rhône (+ 6,1 %), qui profite d’un report de la clientèle lyonnaise, ou, après des années de recul, Grenoble (+ 3,7 %), Marseille (+ 3,2 %) et Dijon (+3,3 %). A Paris, le mètre carré se loue, en ce début 2019, en moyenne 26,2 euros par mois, une hausse de 2,5 % sur un an.
Offre asséchée
Ce ralentissement n’est pas la conséquence d’une offre locative surabondante ou de la régulation des prix par les pouvoirs publics. C’est la crise financière de 2008 et le chômage de masse qui ont mis à rude épreuve le pouvoir d’achat des catégories modestes, retraités, fonctionnaires, familles monoparentales, sans oublier les coups de rabot successifs aux aides personnalisées au logement, qui érodent de 10 % leur pouvoir solvabilisateur. La reprise, depuis 2014, du marché de la primo-accession à la propriété, porté par le prêt à taux zéro, aspire en outre les ménages les plus solvables, qui quittent donc le secteur locatif, devenu refuge des plus modestes. Et la location touristique de courte durée type Airbnb vient aussi assécher l’offre, puisqu’elle mobilise 65 000 appartements rien qu’à Paris, 11 000 à Lyon, autant à Bordeaux…
Bailleurs comme locataires choisissent donc de plus en plus en souvent de conclure un bail meublé court d’un an renouvelable, réduit à neuf mois pour les étudiants. Pour le propriétaire, c’est plus rémunérateur et moins imposé ; pour le locataire, cela permet d’économiser un déménagement ou l’achat de mobilier.
Peu d’entretien dans le parc privé
A Paris, en 2015 déjà, 105 000 appartements, soit 21 % du parc locatif privé, étaient loués meublés, selon les chiffres du recensement. La location longue durée a, entre 2010 et 2015, perdu près de 80 000 logements, pour ne plus en compter que 393 500. Les loyers meublés sont plus chers de 13 % qu’un bien équivalent loué vide, et l’écart se creuse au fil des ans, puisqu’il n’excédait pas 10 % en 2015, selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne.
La petite couronne n’est pas épargnée, avec ses 16 % de biens loués meublés. C’est le cas aussi dans les grandes villes, notamment étudiantes : 13 % de meublés dans la métropole lilloise, 14 % à Toulouse, 13,5 % à Strasbourg, 10 % à Rennes, 8,5 % à Bordeaux…
En sus, le bail mobilité créé par la loi Elan du 28 novembre 2018 propose, pour toute personne en formation, un contrat d’une durée de un à dix mois, non renouvelable. Lodgis, agence spécialisée, a ainsi déjà signé plus de 1 000 baux mobilité qui séduisent certains bailleurs lassés de la location touristique de courte durée, avec son incessant ballet d’occupants pas toujours très soigneux et qui font pester les voisins…
Clameur s’inquiète aussi du peu d’entretien assuré dans le parc privé locatif : « Seuls 13 % des bailleurs engagent des travaux à l’occasion d’un changement de locataire, un taux historiquement bas comparé aux 32 % d’il y a dix ans », relève Olivier Nivault, directeur de Crédit Agricole Immobilier et président de Clameur. Ce parc se dégrade et compte 46 % de logements aux performances thermiques médiocres (étiquettes E, F ou G).
Infographie Le Monde