Brexit : Theresa May ne renonce pas après le troisième rejet de son accord par le Parlement
Brexit : Theresa May ne renonce pas après le troisième rejet de son accord par le Parlement
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Conformément au nouveau calendrier fixé par Bruxelles, ce rejet implique une date rapprochée pour le Brexit, fixée au 12 avril. Et relance la course à la succession de la première ministre.
Accord du Brexit rejeté : « Les conséquences seront lourdes », prévient Theresa May
Durée : 01:26
Theresa May a de nouveau lancé les dés. Et de nouveau, elle a perdu. Même en ayant mis sa démission dans la balance, la première ministre a échoué, vendredi 29 mars, à faire voter par la Chambre des communes l’accord sur le Brexit qu’elle a conclu en novembre avec l’UE. Seuls 286 des 650 députés ont voté pour, tandis que 344 ont rejeté le texte.
Selon le nouveau calendrier fixé par les Vingt-Sept, ce rejet par les députés pourrait impliquer une date rapprochée pour le Brexit : le 12 avril, soit dans deux semaines. Dès l’annonce du vote négatif, Donald Tusk, le président du Conseil européen, a annoncé qu’un sommet extraordinaire de l’UE se tiendrait le mercredi 10 avril. Au même moment, la livre sterling dévissait.
A moins d’une quatrième tentative de sa part pour arracher un vote avant cette date, à moins d’une nouvelle demande pour un report long du Brexit en vue d’élections législatives – auxquelles tous les partis se préparent –, une sortie de l’UE sans accord, dénoncée comme catastrophique pour l’économie tant par le patronat que par les syndicats, aura donc lieu le 12 avril.
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Mais cette perspective a été massivement rejetée par les députés. L’éventualité d’une demande de report long est donc la plus probable. C’est « la dernière chance de garantir le Brexit », avait prévenu Mme May en demandant « de tout [son] cœur » aux députés de voter le texte au terme du long débat précédant le vote. Mais le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, avait réaffirmé son opposition à un « Brexit les yeux bandés ».
Une fois l’annonce du résultat négatif, dans une ambiance électrique, Mme May a semblé ne pas renoncer. « Le gouvernement continuera à plaider en faveur d’un Brexit en bon ordre qu’exige le résultat du référendum [de 2016] », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je crains que nous ayons atteint les limites de ce processus parlementaire. » M. Corbyn a rétorqué : « Si la première ministre ne comprend pas enfin que le Parlement n’approuve pas son accord, elle doit partir maintenant. »
44 députés ralliés au texte
C’est la troisième fois que le « deal » avec Bruxelles est rejeté – avec cette fois, certes, une marge réduite. Comme lors des précédentes tentatives, le rejet s’explique par la coalition de deux catégories d’opposants : les proeuropéens qui estiment qu’il vaudrait mieux rester dans l’UE et les pro Brexit qui trouvent qu’il est trop conciliant à l’égard de l’UE et transforme le Royaume-Uni en « vassal » de l’Union.
Avec 286 voix contre 344, Mme May peut se targuer d’avoir rallié 44 députés supplémentaires depuis le dernier scrutin similaire, le 12 mars. Le 15 janvier, lors de la première tentative pour faire passer le « deal » au Parlement, seuls 202 députés l’avaient approuvé ; ils étaient 242 à la deuxième tentative. Ce vendredi, le texte a convaincu 286 élus, se rapprochant de la majorité fixée à 317. De quoi nourrir peut-être l’espoir de Mme May d’une victoire à l’arraché lors d’une quatrième tentative.
Extraordinairement paradoxale, la première conséquence du refus des députés est de délier Theresa May de sa promesse de quitter le pouvoir. Elle avait conditionné son départ à une approbation de son texte. Théoriquement, elle a jusqu’au 12 avril – date du Brexit fixée par l’UE en cas de rejet de l’accord – pour tenter d’organiser un quatrième vote, en insistant sur le risque pour les députés d’avoir à annoncer à leurs électeurs que les élections européennes vont devoir se tenir fin mai dans un Royaume-Uni en plein Brexit.
Ironiquement, le nouvel échec de Mme May est aussi celui de ses ennemis au sein des conservateurs qui, après avoir combattu l’accord, s’y sont joints à la dernière minute. C’est le cas de Dominic Raab, éphémère ministre du Brexit, et surtout de Boris Johnson, ex-ministre des affaires étrangères, tous deux candidats de plus en plus affirmés à la succession de Theresa May.
Tentation de la rupture franche
« Pourquoi la première ministre organise-t-elle un vote qu’elle est presque sûre de perdre ? », a demandé Nicholas Watt, de la BBC, à un ministre anonyme. Réponse : « Je n’en sais foutrement rien. Ça ressemble à la nuit des morts vivants ici. » Effectivement annoncé comme perdu, le scrutin semble surtout avoir été conçu comme un signal politique à l’adresse des électeurs exaspérés par l’impasse, envoyé symboliquement le jour précis où le divorce prévu avec l’UE devait être effectif. Mais il pourrait attiser, déjà entretenu par les tabloïds, l’inquiétant conflit entre les électeurs pro-Brexit et le Parlement.
Mme May pensait aussi amadouer les députés en scindant en deux l’accord de Brexit. Elle ne leur a soumis ce vendredi que le traité proprement dit organisant le divorce, pas la « déclaration politique non contraignante » qui envisage l’avenir des relations, notamment commerciales. La division avait aussi été opérée pour satisfaire le speaker (président) de la Chambres des communes, John Bercow, qui refuse qu’un texte inchangé soit soumis plusieurs fois au vote.
Le vote négatif de cet après-midi relance une course à la succession de Mme May déjà bien lancée en coulisses. A cet égard, la spectaculaire volte-face de Boris Johnson, qui a voté ce mercredi en faveur d’un accord avec Bruxelles qu’il vilipendait jusqu’à présent avec la dernière énergie, marque clairement son positionnement dans la compétition pour Downing Street. L’ancien ministre des affaires étrangères n’en est pas à un paradoxe près puisqu’en juin 2016, surpris par le vote du Brexit pour lequel il avait ardemment milité et dont il avait même dirigé la campagne, il s’était dérobé en refusant de devenir premier ministre.
Aujourd’hui, sa stratégie semble claire : faire passer l’accord pour passer à tout prix le cap du Brexit, puis prendre le pouvoir pour avoir la main sur la deuxième phase, décisive, des négociations avec l’UE – celle au cours de laquelle les futures relations commerciales doivent être définies. M. Johnson pourrait alors tourner le dos aux compromis finalement acceptés par Mme May et tenter d’imposer un Brexit dur, une rupture franche permettant au Royaume-Uni de se poser en paradis fiscal délié des règles sociales et environnementales européennes.
« Grande-Bretagne globale »
Après ce troisième « niet » des députés, la seule issue possible, hormis une sortie sans accord, pourrait se trouver dans les solutions alternatives sur lesquelles planchent les députés. Mercredi, aucune de leurs idées n’a dégagé de majorité. Mais le processus doit se poursuivre lundi 1er avril. La proposition de l’ancien ministre conservateur Kenneth Clarke, qui inclut l’accord défendu par Theresa May en y ajoutant le maintien dans une union douanière permanente, est l’une de celles qui a recueilli le plus grand nombre de voix. Amendée, elle pourrait rallier à la fois des travaillistes et des conservateurs proeuropéens et être acceptée par l’UE.
Mais une telle perspective ne peut être portée par Mme May, car elle scinderait en deux ses ministres et rendrait le pays ingouvernable. L’union douanière sonnerait en effet le glas de la « Grande-Bretagne globale » promise par les partisans du Brexit en empêchant Londres de conclure en solo des accords de libre-échange avec le reste du monde. L’issue pourrait consister pour Mme May à demander un délai supplémentaire à l’UE pour organiser sa succession à la tête du Parti conservateur, puis des élections législatives.