Des associations s’alarment de la forte hausse des suicides en prison
Des associations s’alarment de la forte hausse des suicides en prison
Par Jean-Baptiste Jacquin
En 2018, 131 personnes se sont donné la mort en détention, soit 14 de plus qu’en 2017. Un des chiffres les plus élevés d’Europe.
Le nombre de suicides de personnes détenues a atteint en 2018 un pic jamais égalé depuis au moins dix ans avec 131 personnes décédées, contre 117 en 2017. L’essentiel de ces passages à l’acte intervient dans la prison (119 contre 103 en 2017), tandis qu’un plus petit nombre (12 contre 14) a lieu hors des murs (à l’hôpital, en permission de sortir, etc.). Selon une étude interne extrêmement détaillée que Le Monde s’est procurée, la direction de l’administration pénitentiaire relativise néanmoins ce constat en observant que par rapport au nombre de détenus, qui a lui aussi atteint un record en dépassant les 70 000, le taux de suicide (16 pour 10 000) est inférieur à ceux de 2016 (16,3 pour 10 000) ou 2009 (18,3 pour 10 000).
L’administration pénitentiaire a pris ce sujet très au sérieux notamment depuis le plan d’action ministériel de 2009 relatif à la prévention du suicide des personnes détenues. Un audit mené en 2015 par l’inspection des services pénitentiaires, l’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse et l’inspection générale des affaires sociales avaient formulé des recommandations qui ont été mises en œuvre depuis, mais sans grand effet sur le taux de suicide.
Ainsi, de réels progrès ont été effectués sur les protocoles de prise en charge des détenus à leur entrée en prison, au moment du « choc carcéral ». Dans le quartier pour les arrivants, ce sas où les personnes passent leurs huit premiers jours de détention avant une affectation dans les différents quartiers d’une prison, la prise en charge est individualisée par des surveillants expérimentés et spécialement formés. Malgré ces précautions, les quartiers pour les arrivants restent le lieu de nombreux passages à l’acte avec 24 détenus qui s’y sont donné la mort en 2018, contre 14 en 2017. Le quartier disciplinaire, le mitard, est l’autre lieu de particulière vulnérabilité avec 18 suicides (14 l’année précédente).
Codétenus de soutien
Ce constat d’échec est mis en exergue par un collectif d’associations (Caritas France, l’Observatoire international des prisons, les Petits frères des pauvres, etc.) qui organisaient jeudi 28 mars à Paris pour la onzième année consécutive un hommage aux morts de la prison. Selon ces associations, l’une des explications de ces suicides, essentiellement par pendaison dans la cellule, est à rechercher dans la dégradation des conditions de détention liées à la surpopulation carcérale. Alexis Saurin, président de la Fédération des associations de réflexion action prison et justice, estime que « l’administration pénitentiaire doit changer de modèle, en cherchant à donner aux gens envie de vivre plutôt que de se contenter d’essayer d’empêcher le passage à l’acte ».
« On ne pourra pas faire baisser significativement le nombre de suicides à l’intérieur [des prisons] tant que l’on ne fera pas baisser les suicides à l’extérieur qui font quelque 10 000 morts par an », explique de son côté la direction de l’administration pénitentiaire. Autrement dit, si la France a l’un des taux de suicide en détention le plus élevé d’Europe (seule la Norvège fait pire), c’est que ce chiffre dans la population y est aussi nettement plus élevé qu’ailleurs. La difficulté dans l’analyse du taux de suicide en détention, sept fois plus que dans le pays, est de quantifier la part qui s’expliquerait par les caractéristiques de la population concernée marquée par des fragilités psychologiques, voire psychiatriques, et de nombreux accidents de la vie.
L’administration pénitentiaire continue néanmoins de renforcer ses dispositifs de prévention. Une convention a été signée le 5 février avec l’Union nationale pour la prévention du suicide afin de mettre en place dans trois prisons (Bordeaux, Orléans et Mont-de-Marsan) le dispositif des codétenus de soutien déjà déployé dans dix-huit établissements, en partenariat avec la Croix-Rouge. Ces personnes volontaires ont une formation de cinq jours qui leur permet de repérer (à la promenade, en atelier, etc.) et signaler les détenus qui entreraient dans une phase suicidaire, voire de les accompagner.
Certains établissements ont récemment mis en place un plan de protection individuel qui permet par exemple d’appeler la famille pour susciter une visite au parloir ou un appel téléphonique, et ne pas laisser un détenu dans sa cellule sans surveillance lorsque son codétenu est en promenade. Jeudi, à entendre la litanie des suicides de 2018 égrenés par les associations, le plus jeune avait 22 ans, le plus âgé, 68 ans.