Des campions sur l’autoroute en direction de l’Italie, près de Chamonix (Haute-Savoie), en avril 2017. / JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Après s’y être repris à trois fois, et en avoir débattu pendant plus d’un an et demi, les députés européens sont parvenus, jeudi 4 avril, à voter en séance plénière un ensemble de textes capitaux encadrant davantage les conditions de travail dans le transport. Le sujet est technique, mais épineux. Au moins autant que la révision de la directive sur le travail détaché, finalisée en 2018.

Il s’agit de limiter les abus dans un secteur très exposé au dumping social. Mais, étant donné les profondes divisions qui existent entre les Etats du centre et ceux de la périphérie, le « paquet transport » tel qu’amendé par les eurodéputés est un parfait compromis à l’européenne, avec ses avancées et ses faiblesses.

Etait-il possible d’aller plus loin dans la protection des chauffeurs et des intérêts des entreprises de transport hexagonales ? Pas sûr. Il s’agit en tout cas d’un bon thème de débat pour la campagne des européennes.

Parmi les points forts du « paquet », les élus ont consacré l’interdiction du repos hebdomadaire obligatoire des chauffeurs dans leur cabine. La France faisait partie des pays qui défendaient cette mesure. Les chauffeurs routiers devraient par ailleurs bénéficier d’un droit de retour régulier dans leur pays d’origine, au moins toutes les quatre semaines. Et ce, pour en finir avec les pratiques de certaines entreprises qui les éloignent de leur famille pendant plusieurs mois d’affilée.

« Réelles avancées »

Les opérations de cabotage (livraison d’un point à un autre dans un même pays, par un camion venu de l’étranger) seront limitées. Elles ne seront pas autorisées plus de trois jours par an. En outre, entre chaque période de cabotage, le camion devra rentrer dans son pays d’attache, et y rester au moins 60 heures avant de repartir. Il s’agit de prévenir « le cabotage systématique », effectué par des chauffeurs payés bien moins cher que ceux des pays où ils effectuent leurs livraisons.

Autres dispositions : pour mieux lutter contre les entreprises « boîtes aux lettres », immatriculées dans un pays mais salariant des chauffeurs venus d’ailleurs, les transporteurs devront justifier d’une « activité substantielle » dans l’Etat dans lequel ils sont enregistrés. Les véhicules légers (moins de 3,5 tonnes), de plus en plus utilisés pour le cabotage, seront soumis aux mêmes règles que les camions. Par ailleurs, les élus ont voté l’application des règles du détachement (même salaire horaire pour le même travail) dès le premier jour, pour les opérations de livraison internationales, y compris le cabotage.

Mais les eurodéputés de l’Est, massivement opposés au durcissement des règles, ont obtenu des exemptions importantes : le principe du détachement ne s’appliquera pas pour des livraisons« bilatérales », d’un point A en France, par exemple, à un point B, en Belgique. Dans ce cadre, les chauffeurs pourront aussi effectuer une opération de cabotage à l’aller et une au retour (ou deux à l’aller et aucune au retour), sans être considérés comme des « détachés ».

La députée Verte Karima Delli, présidente de la commission transport à Strasbourg, a dénoncé « la création en Europe d’une classe de salariés de seconde zone »

« Ces orientations représentent de réelles avancées pour les droits des travailleurs et pour une concurrence plus loyale dans le transport routier », s’est félicitée Elisabeth Borne, la ministre française des transports. « La bataille a été difficile, mais désormais nous approchons de l’objectif de doter [les trois millions de chauffeurs routiers] de conditions de travail dignes », a pour sa part salué Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy, chef de file des eurodéputés socialistes hexagonaux.

La députée Verte Karima Delli, présidente de la commission transport à Strasbourg, a, elle, dénoncé « la création en Europe d’une classe de salariés de seconde zone. Les chauffeuses et chauffeurs du secteur routier sont victimes du “deal” passé entre le gouvernement français et les Etats périphériques, qui en avaient fait une monnaie d’échange afin d’obtenir un accord sur la révision de la directive générale sur le détachement ».

Manœuvre protectionniste

Il est vrai qu’avec d’autres Etats, la France a accepté que le transport soit sorti du champ de la révision de la directive sur le travail détaché et fasse l’objet d’un texte séparé. Il est également vrai qu’en 2017, Paris avait obtenu une limitation du détachement à un an, contre l’avis des pays de l’Est, qui comptaient bien prendre leur revanche avec le « paquet transport ».

Ces dernières semaines, les élus de l’Est ont tenté d’éviter un vote du Parlement sur ces textes, considérant qu’ils représentaient une manœuvre protectionniste de l’Ouest à l’égard de leurs entreprises. Dans les pays baltes ou en Bulgarie, le transport représente une part considérable du produit intérieur brut (plus de 12 % dans le cas de la Lituanie).

« Obtenir de l’Est l’application du détachement à tous les types de transport, c’était impossible. Ces capitales considèrent que l’Ouest a profité à plein de l’élargissement, notamment en investissant le secteur financier à l’Est, et qu’on doit leur laisser le transport », glisse une source parlementaire.

Ces textes validés par les eurodéputés verront-ils le jour avant les élections européennes ? Cette perspective est peu probable. Au Conseil, les Etats sont, eux aussi, parvenus à un accord (fin 2018). Leur position est proche de celle du Parlement. Mais les deux institutions doivent entrer en négociation pour aboutir à une position commune. Ce qui peut prendre au minimum un trimestre.