L’administration américaine s’inquiète de visas « humanitaires » accordés par la Belgique
L’administration américaine s’inquiète de visas « humanitaires » accordés par la Belgique
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
Le nationaliste Theo Francken se trouve au cœur d’une polémique sur des mesures qui ont bénéficié à 1 502 chrétiens syriens.
Il a été baptisé « le Trump flamand » mais l’administration américaine goûte visiblement peu les pratiques de Theo Francken, l’ex-secrétaire d’Etat belge à la migration et à l’asile. La presse flamande a en effet révélé, samedi 6 avril, que l’ambassade des Etats-Unis à Bruxelles avait relayé, auprès du gouvernement démissionnaire de Charles Michel, ses inquiétudes quant à 1 502 visas prétendument « humanitaires » qu’aurait délivrés l’ancien cabinet de M. Francken à des chrétiens syriens.
Washington s’inquiète apparemment parce que la Belgique fait partie des 50 pays dont les citoyens ne doivent pas solliciter de visa pour entrer aux Etats-Unis. Les services veulent dès lors clarifier la situation des demandeurs d’asile arrivés dans le royaume. La libérale Maggie De Block, qui a repris le portefeuille de M. Francken, affirme que la pratique des visas humanitaires a cessé.
L’octroi de ceux-ci fait, depuis des mois, l’objet d’une intense polémique en Belgique où, Melikan Kucam, 44 ans, un proche de l’ancien secrétaire d’Etat, a été placé en détention et mis en examen pour traite d’êtres humains, en janvier. Quelques semaines plus tôt, M. Francken avait quitté le gouvernement de M. Michel, comme tous les autres ministres nationalistes de l’Alliance néoflamande (N-VA, conservatrice), entraînant une crise et l’organisation d’élections, qui auront lieu le 26 mai.
Proche des communautés de chrétiens d’Orient
M. Kucam, 44 ans, un conseiller municipal NVA de la ville de Malines, est soupçonné de s’être fait payer, parfois très grassement, en échange de l’octroi de visas humanitaires. Proche des communautés de chrétiens d’Orient, lui-même originaire de la communauté assyrienne de Turquie, il apparaît, sur sa page Facebook, aux côtés de dirigeants de premier plan de la NVA. Il cultivait aussi, semble-t-il, sa proximité avec le conseiller qui, au secrétariat d’Etat, gérait les demandes de visas humanitaires et il aurait directement participé à l’élaboration des listes pour l’octroi de ces documents. Si M. Kucam est parvenu à entrer en relation avec M. Francken, c’est parce qu’il développait, comme lui, un discours très hostile à l’islam.
Depuis le début de l’enquête, l’administration belge a indiqué que 121 Syriens ayant bénéficié de visas humanitaires sont introuvables. Et au moins 107 d’entre eux figuraient sur une liste établie par M. Kucam. Parmi les 1 500 personnes accueillies à Bruxelles certaines n’ont, en tout cas, jamais introduit de demandes d’asile. C’est de ces « disparitions » que s’inquiète Washington, indique une source diplomatique.
M. Francken, au cœur de la polémique, tente de se défendre en affirmant que la « fuite » de samedi a été organisée par le gouvernement et ne vise qu’à lui nuire, à a quelques semaines des élections. « Sauver des chrétiens est un problème pour l’administration @realDonaldTrump ? ! Ne me faites pas rire », a réagi l’ancien secrétaire d’Etat. Il souligne, en outre, que la dispense de visas octroyée par les Etats-Unis ne concerne pas les étrangers visant en Belgique et il contre-attaque : « Maggie De Block a créé un chaos. Déjà 10 000 dossiers en retard, les demandes d’asile sont à un niveau record… »
Prenant la défense de Mme De Block, la présidente de son parti, Gwendolyn Rutten, a relancé la polémique en adressant, samedi, un Tweet au président américain. « Cher Donald Trump, notre nouvelle ministre est une dirigeante stricte mais honnête. Elle a immédiatement arrêté la pratique des visas humanitaires et lancé une enquête », a-t-elle écrit, histoire de bien désigner M. Francken.
Celui-ci est, ainsi que son parti, embarrassé par ce dossier qui cadre mal avec la politique de rigueur qu’il se piquait d’appliquer. Avant l’arrestation de M. Kucam, il avait décrit publiquement celui-ci comme « une personne de confiance » et « un type fantastique, bourré de talent ». Depuis, il se dit « choqué » et a nié toute implication dans l’octroi des visas douteux, même s’il a dû concéder qu’il était au courant de « rumeurs » concernant M. Kucam et les sommes qu’il réclamait.
Beaucoup plus sévère en 2016
Le sort des chrétiens d’Orient était, en tout cas, l’une des priorités de M. Francken, qui avait notamment conclu un accord pour l’accueil légal de 150 Syriens avec la communauté Sant’Egidio, une association de fidèles catholiques fondée en 1968, à Rome. Si ces pratiques étaient transparentes, l’octroi d’autres visas humanitaires par le secrétariat d’Etat le fut beaucoup moins.
Etonnamment, M. Francken s’était d’ailleurs montré beaucoup plus sévère en 2016, refusant obstinément d’octroyer un visa humanitaire à une famille d’Alep dont la maison avait été bombardée et que des habitants de Namur voulaient accueillir. Mis en demeure par un tribunal, M. Francken disait refuser que des juges puissent décider de se substituer à lui-même et à son administration pour décider qui pouvait avoir accès au territoire national. Il avait, à l’époque, introduit divers recours, affirmant que s’il cédait à l’injonction d’un tribunal, de nombreux demandeurs d’asile pourraient s’engouffrer dans la brèche.
L’affaire avait même menacé la coalition du libéral francophone Charles Michel. Celui-ci soutenait à l’époque son secrétaire d’Etat tout en affirmant qu’il voulait faire respecter « l’Etat de droit et la séparation des pouvoirs ».