En Afrique, le miel comme facteur de développement
En Afrique, le miel comme facteur de développement
Par Augustine Passilly
Pour lutter contre la pauvreté, l’association française Apiflordev soutient des projets basés sur l’exploitation de ruches dans une dizaine de pays du continent.
Un apiculteur de la région du Tigray, en Ethiopie, en mars 2017. / ZACHARIAS ABUBEKER / AFP
Il y avait bien les fleurs et les abeilles, mais, en Afrique, le miel est longtemps resté de piètre qualité. Pratiquée sous des formes ancestrales, l’apiculture débouchait rarement sur une commercialisation. « La récolte traditionnelle, faite en brûlant les arbres, laisse des débris et de la suie qui rendent le produit pratiquement invendable », explique Maurice Bardot, responsable de la commission projets-finance d’Apiflordev. Cet ingénieur agronome à la retraite a rejoint il y a une quinzaine d’années les quelque 80 membres de cette association basée à Paris. Son objectif : que le miel devienne un facteur de développement et de lutte contre la pauvreté, dans les zones rurales et périurbaines, grâce à l’application de techniques de récolte mellifère modernes.
L’essentiel de l’activité d’Apiflordev se concentre dans une dizaine d’Etats subsahariens et permet au commerce du miel de rattraper son retard sur le continent, qui représentait déjà plus de 10 % de la production mondiale en 2017. « Cette marchandise se vend assez bien et à un bon prix par rapport au niveau de vie, affirme Maurice Bardot. Si on compare à l’Europe, il faut produire une quantité moins importante pour générer un revenu conséquent. » D’autant que les produits issus de la pollinisation sont particulièrement prisés dans ces pays, où ils servent d’antiseptiques, de pommades ou de sirops.
Indépendance financière
Apiflordev sélectionne les projets en fonction de leur viabilité économique et de leur respect de l’environnement, puis mobilise des financements et forme les habitants. La cantine de l’école maternelle de Kagrin, au Burkina Faso, a ainsi été sélectionnée par la commission de Maurice Bardot. La région Occitanie lui a octroyé un soutien de 15 000 euros, et les femmes qui gèrent cette école communautaire construite par l’Unicef ont été guidées par les bénévoles d’Apiflordev. « Ils nous ont fourni un équipement et nous ont appris à récolter le miel », se réjouit Sarrata Dera, présidente de l’Association des mères éducatrices, qui regroupe 17 femmes à l’initiative de ce projet.
Ce sont les difficultés à alimenter la cantine, nécessaire pour que les 80 enfants âgés de 3 à 6 ans continuent de fréquenter l’école maternelle, qui ont incité le directeur, Ousseni Sanfo, à contacter l’association française en 2014, alors qu’elle aidait déjà des villages voisins. « Notre cantine fonctionnait grâce aux cultures fournies par les parents d’élèves. Mais avec les difficultés de ces dernières années, liées en partie à la sécheresse, nous n’avions plus assez de céréales pour répondre aux besoins des enfants », précise-t-il. Dès 2017, les premières récoltes permettent d’introduire du miel dans le déjeuner des enfants, tandis que le reste de la production est vendu pour acheter du riz et même du matériel pour l’école.
Cette année, chaque femme de l’association a reçu deux ruches. A terme, elles devraient en posséder cinq. Un pas de plus vers leur indépendance financière. Pour le directeur de l’école, « cela permet vraiment de réduire la pauvreté, car avant, ces femmes au foyer n’avaient pas de métier », donc ni revenu ni statut. Désormais, le marché du miel burkinabé semble leur tendre les bras : sa production annuelle a quadruplé entre 2007 et 2014, pour s’établir à près de 400 tonnes en 2016, d’après les chiffres du ministère des ressources animales.
Dimension environnementale
Parmi les autres projets africains, Apiflordev a soutenu l’autonomisation, via l’apiculture, des femmes et des jeunes de la préfecture de Kloto, au Togo, le développement d’un rucher au sein d’un orphelinat à Sindou, au Burkina Faso, ou encore la mise en place d’une ruche pédagogique au Rwanda. A chaque fois, les habitants ont été formés par des apiculteurs professionnels aux techniques modernes, dans un but économique mais aussi écologique.
« L’apiculture favorise la biodiversité : les plantes ont besoin des abeilles pour la pollinisation et les abeilles dépendent des plantes pour s’alimenter, rappelle Maurice Bardot. Mais l’apiculture traditionnelle consiste à déloger les abeilles avec du feu, ce qui entraîne souvent des feux de brousse et la déforestation. Il est nécessaire d’introduire des techniques modernes. » Chaque initiative comporte donc une dimension environnementale. Au Burkina Faso, par exemple, la formation des femmes de Kagrin à une apiculture responsable contribue à la sauvegarde de la forêt de karités, de nérés, de moringas et d’anacardiers qui entoure le village.
Les bénévoles d’Apiflordev ont beau promouvoir des techniques modernes, ils s’adaptent aux moyens disponibles sur place. « Généralement, il faut utiliser des méthodes, des outils et des ruches qui nécessitent moins de technologies qu’en France », note Maurice Bardot, qui a appris à se passer de fil de fer et a même construit des ruches en roseaux et en argile, matériaux moins onéreux, au Congo-Brazzaville.
Ces concessions en valent la peine, certains pays commençant d’ores et déjà à projeter leur filière apicole à l’international. Ainsi, depuis mars 2018, le Burkina Faso a l’autorisation d’exporter son miel vers l’Union européenne. De quoi ouvrir de larges perspectives aux femmes de l’école maternelle de Kagrin.